Le phénomène du suicide n'est pas le propre d'une société déterminée. Il n'est pas non plus une caractéristique majeure de la société moderne. Pourtant, c'est pendant l'avènement de l'ère de « l'Homme-machine » que le taux des comportements suicidaires a sensiblement augmenté. Au Maroc, la rareté des chiffres et des enquêtes nous a amenés à recourir aux spécialistes pour assouvir notre curiosité. « Le meurtre de soi-même », classé souvent dans la rubrique des actes déviants, recèle en lui-même des traits communs qu'on peut rencontrer partout dans le monde. Le point commun des suicides, c'est que l'on est devant une mort « sans meurtrier ». Le responsable étant lui-même la victime, rend hypothétique toute tentative d'explication objective. Le sociologue français E. Durkheim a évoqué dans l'un de ses ouvrages intitulé « Le suicide » que « dans toutes les sociétés, il y a un équilibre optimal entre égoïsme et altruisme, entre ennui et adaptation. Et dans la mesure où cet équilibre est fragile, le taux des suicides augmente ». Il y a donc une liaison certaine entre le suicide et la société. C'est cette dernière qui exerce des pressions énormes sur l'individu, qui finit par se donner la mort. L'évidence de ce constat est tel qu'il est presque impossible par la suite d'aller au-delà de la formulation des hypothèses pour expliquer chaque cas pris isolément. Car ce n'est pas la même chose de voir quelqu'un à désespéré et qui a décidé de se suicider, et un autre cas relatif par exemple à une grande star qui a fait le même acte. Les premières distinctions opérées dans le comportement suicidaire ont eu l'ambition de dicter une autre façon de juger le phénomène. Cette façon veut avant tout sortir du décor tout à fait tragique et pessimiste auquel l'observateur est affronté. Le suicide dit « altruiste », comportement de certains militaires dans toutes les armées du monde, est rehaussé à une valeur extrêmement louable lorsque le sacrifice de la vie d'un seul homme conduit à la sauvegarde de celle de milliers de ses compatriotes. Quant au suicide « égoïste », lié par exemple à une frustration dans les ambitions d'ascension sociale, ce comportement est jugé néfaste pour le groupe social dans son ensemble. Ces distinctions préliminaires ne doivent pas cependant nous faire perdre de vue une idée-clé : c'est que pendant les grandes crises économiques, la courbe du suicide est tirée vers le haut. En effet, c'est dans ce climat social incertain que les aspirations individuelles risquent de connaître un échec. Le sens du suicide dans de telles conditions paraît s'éloigner des motivations purement psychologiques, pour se situer dans l'univers d'une crise sociale et économique très aiguë. Autrement dit, cet acte, qui se situe au cur de deux valeurs irréductiblement antagonistes (la vie et la mort), n'est pas seulement de nature purement psychologique. Il n'existerait pas en effet des individus « prédisposés » à se suicider tandis que d'autres ne le sont pas. Ce constat est d'autant plus important que la conscience ou l'inconscience de ce qui va suivre ce choix dramatique est largement dépendant de certaines situations économiques qui pourraient s'offrir au candidat au suicide. Ce dernier qui reste pris dans un certain contexte social en le vivant d'une certaine manière admet à un moment donné que la vie ne sert plus à rien. Le fait de se donner la mort apparaît, par conséquent, comme une alternative qui résorbe son agressivité et sa frustration au lieu d' actes criminels. C'est en tout cas l'une des conclusions majeures de la sociologie à l'heure actuelle. Il ne faut pas oublier qu'une part considérable du hasard conditionne tout ce décor tragique. C'est ceci qui met tout observateur dans l'impossibilité apparente de discerner « ce choix », et de se mettre au lieu et place de l'acteur/victime.