En première ligne de ce combat sans merci contre la pandémie, les infirmiers commencent à tomber sur le champ de bataille. Plus de 1200 cas contaminés dans les rangs du personnel soignant marocain sont recensés par les syndicats. Par Hayat Kamal Idrissi Le système de santé va mal. Après les médecins qui ont fait grève hier, c'est au tour des infirmiers de monter au créneau. « Ce chiffre est un indicateur très alarmant. Les infirmiers sont de plus en plus touchés par la pandémie. Des services entiers tombent à la fois tandis que le ministère fait la sourde oreille », nous affirme Afaf Al Âam, membre du Mouvement des infirmiers et des techniciens de santé du Maroc. D'après les chiffres relevés par ce dernier, ils sont plus de 1200 infirmiers à succomber au virus, avec 10 décès.
Blessés de guerre
« Plus de 200 cas ont été enregistré rien que ces deux dernières semaines », assure la syndicaliste. De son côté Abdillah Sayssi, président de l'Association marocaine des infirmiers anesthésistes et réanimateurs (AMIAR), nous informe que 100 cas ont été enregistré parmi leur rang, avec un cas de décès à Jrada. « Je peux vous dire que tous ces chiffres restent approximatifs car relevés d'une manière non officielle par les infirmiers eux-mêmes et les membres du mouvement et des associations », déplore Al Âame. Cette dernière dénonce le désintérêt total du ministère de tutelle par rapport à ces statistiques pourtant si importantes à tenir. « L'attitude du ministère est incompréhensible. Le nombre des infirmiers contaminés et le suivi de la situation sanitaire du personnel soignant sont des priorités dans ce combat contre la pandémie. Comment peut-on procéder sans des ressources humaines saines ? », s'insurgent, en chœur, Sayssi et Al Âame. Pour les deux représentants des infirmiers marocains, l'enjeu est d'autant plus vital car engageant non seulement la sécurité du personnel, mais aussi celle de leurs proches et celle des citoyens et des malades. « Un infirmier touché par le virus qui l'ignore ou qui n'est pas pris en charge peut le transmettre aux autres collègues mais aussi aux patients accueillis à l'hôpital », s'alarme-t-on au mouvement des infirmiers.
Protection approximative A l'AMIAR, on estime que la tendance ascendante des contaminations est en effet le résultat de l'absence d'un suivi et d'un accompagnement au plus près du personnel soignant. « Non seulement aux secteurs Covid-19, qui sont assez verrouillés côté mesures de prévention, mais dans tous les services de tous les hôpitaux », soutient l'infirmier anesthésiste qui opère en secteur Covid à Meknès. Connu pour être un milieu propice pour la transmission de virus et de maladies, le milieu hospitalier devient encore plus dangereux en cette période de pandémie. « Nous appelons à l'instauration de mesures de prévention nécessaires, avec les moyens adéquats pour la protection du personnel soignant dans l'exercice de son métier. Des cellules de veille et un control permanent sont obligatoires » réclament les syndicalistes. Des mesures qui allégeront la menace de contamination mais qui devraient être accompagnées par une pile d'autres dispositions. « Il nous fait du renfort. Le ministère doit immédiatement recruter les infirmiers d'Etat au chômage », réclame Sayssi. « Avec les pertes parmi nos rangs et la grande croissance du nombre de cas enregistrés quotidiennement, ça devient une nécessité. Le personnel de santé qui accusait déjà un grand déficit, est carrément dépassé actuellement », ajoute de son côté la représentante du mouvement.
Prime de risque, l'injustice
Surmenés et privés de leur droit au congé depuis le déclenchement de la pandémie, les infirmiers n'en peuvent plus de résister. « En plus de l'ingratitude et le désintérêt démoralisants du ministère, nous avons été privés de nos congés et des primes promises», s'insurge Afaf El Âam. D'après cette dernière, au-delà de la charge phénoménale du travail, les infirmiers sont victimes d'une grande injustice. Explication ? « La prime de risque qui ne dépasse pas les 1400 dhs pour les infirmiers et qui atteint 5900 dhs pour les médecins. Ceci alors que nous sommes tous exposés aux mêmes risques si ce n'est plus car plus en contact avec les malades », explique-t-elle. « On n'évalue pas les risques selon les diplômes mais selon le degré d'exposition !!! », analyse-t-elle. Pour Sayssi, cette revendication primordiale est aujourd'hui plus que jamais d'actualité. « Les risques ne sont que plus grands avec la pandémie. La preuve : ces infirmiers qui tombent comme des mouches dans l'exercice de leur métier.», regrette-t-il.
Troupes démoralisées
Une reconnaissance des efforts et une compensation financière qui devrait, selon les infirmiers, remonter le moral des troupes en cette période de crise. « Nous réclamons aussi un suivi psychique du personnel. Tout le monde est surmené psychiquement », note Al Âam. Elle nous raconte la détresse de deux infirmiers ayant sombré dans une forte dépression après avoir contaminé leurs parents. Ne parvenant pas à se pardonner leur mort, ils sont rongés par la culpabilité. « Nous nous défendons jusqu'à maintenant de mener une grève nationale par considération à la situation de crise actuelle. Mais notre patience commence à s'effriter », mettent en garde les deux représentants. Montant la tension, les infirmiers se serrent les rangs et prévoient un sit-in de protestation, à Rabat, le 14 novembre. Leurs doléances seront-elles enfin entendues au niveau central ? A suivre.