L'image la plus choquante de ces dernières semaines n'est pas venue de n'importe où. Mais du stade San Siro de Milan, un des plus prestigieux du monde, lors d'un match de Série A italienne entre l'Inter et Naples (1-0). Ce soir du 26 décembre 2018, Kalidou Koulibaly, défenseur sénégalais du club du sud de la péninsule, est victime d'insultes racistes proférées par des supporteurs lombards, sans que l'arbitre n'agisse. Le joueur de Naples avait alors applaudi ironiquement ce dernier, lequel n'hésitera pas à lui infliger un second carton jaune synonyme d'expulsion. Après ces insultes, la sanction qui frappe l'Inter de Milan se résume à deux matchs à huis clos, alors que Carlo Ancelotti, l'entraîneur napolitain, annonce que son équipe quittera le terrain si le scénario devait se reproduire. Kalidou Koulibaly a, pour sa part, appris que son carton rouge ne sera pas annulé par la Ligue de football, une décision qui a provoqué une certaine colère en Italie. Sanctions judiciaires, interdictions de stade Les supporteurs de l'Inter n'en sont pas à leur coup d'essai. En 2005, l'Ivoirien Marc-André Zoro, qui portait le maillot de Messine, avait essuyé des cris de singe. En larmes, le joueur avait voulu quitter le terrain, mais ses coéquipiers l'en avaient dissuadé. Et sept ans plus tard, plusieurs joueurs noirs de Tottenham avaient eu droit au même traitement lors d'une rencontre de Ligue Europa face au club italien. L'Italie n'est pas le seul pays européen à être concerné par les actes de racisme : chants, insultes, jets de banane sont récurrents dans les stades. Le Français Blaise Matuidi en janvier 2018 ou le Ghanéen Sulley Muntari en mai 2017 en ont été victimes. En Angleterre, Raheem Sterling, l'international anglais d'origine jamaïcaine de Manchester City, a été visé en décembre 2018 par des remarques racistes de supporteurs de Chelsea, lesquels, un mois plus tôt, avaient profité d'un match de Ligue Europa en Hongrie pour entonner des chants antisémites à l'attention des fans de Tottenham.L'Angleterre fait pourtant partie des pays où le racisme dans les stades a le plus reculé ces dernières années. La France aussi a fait en sorte d'assainir ses tribunes, grâce à une politique offensive comprenant sanctions judiciaires, interdictions de stade et d'abonnement à l'encontre des individus reconnus coupables d'actes racistes. Certains groupes de supporteurs ont également fait le ménage parmi leurs membres. Mais dans d'autres pays européens, le laxisme reste la règle. En Italie, la Fédération de football et la Ligue professionnelle sont réputées pour leur manque de sévérité. En Europe de l'Est, la situation est encore plus inquiétante. « Dans de nombreux pays, comme il n'y a pas de système de vidéosurveillance dans les stades, il est compliqué de repérer, d'interpeller et de sanctionner les supporteurs qui se livrent à des actes racistes. Et ceux-ci ressentent un certain sentiment d'impunité », explique un policier habitué des stades de Ligue 1 française. « Des spots de sensibilisation » Ancien défenseur international marocain, lui-même victime d'insultes en 2008, Abdeslam Ouaddou demande davantage de sévérité. « On ne peut pas dire que rien n'ait été fait ces dernières années. Certaines fédérations prennent des sanctions. L'UEFA [Union of European Football Associations] profite des matchs de coupes d'Europe pour diffuser des spots de sensibilisation, reconnaît l'ancien joueur. Mais j'ai tout de même le sentiment qu'on ne va pas assez loin. On impose un ou deux matchs à huis clos, on inflige des amendes, des supporteurs sont interdits de stade. Mais après ? »L'ex-international béninois Jean-Marc Adjovi-Boco, un des fondateurs de l'Académie Diambars au Sénégal, appelle, lui, à davantage de solidarité : « Ce qu'a dit Carlo Ancelotti après le match à Milan va dans le bon sens. Si un joueur est victime d'insultes, de cris de singe ou de chants racistes, pourquoi son équipe ne quitterait-elle pas le terrain ? A ma connaissance, ce n'est presque jamais le cas. Et je ne parle même pas de l'attitude des adversaires, qui, la plupart du temps, ne réagissent pas ». En mai 2014, Patrick Vieira, alors entraîneur des moins de 21 ans de Manchester City, avait demandé à son équipe de quitter le terrain lors d'une rencontre à Rijeka (Croatie), après l'expulsion de Seko Fofana, un de ses joueurs, qui avait répondu à une remarque raciste d'un adversaire. « Un dossier prioritaire » pour la FIFA Abdeslam Ouaddou rappelle que de telles insultes ne sont pas sans conséquence : « Le racisme n'est pas un délit, c'est un crime ! On attaque une personne avec des mots, on l'achève devant des milliers de spectateurs. Et, derrière, il faut vivre avec cette douleur qui touche aussi les familles des joueurs, leurs proches. » Quand lui-même avait été insulté par un supporteur messin en 2008, il avait tenté de s'expliquer avec cet individu, ce qui lui avait valu un carton jaune brandi par l'arbitre, Fabien Ledentu. « Ce supporteur m'avait déjà insulté plusieurs fois. Je l'avais signalé à l'arbitre, qui m'avait juste demandé de rester concentré sur mon match, alors que je demandais juste à être protégé », précise-t-il.Jean-Marc Adjovi-Boco n'est guère étonné par ce qu'il considère comme un manque de volontarisme. « Si on voulait faire diminuer de manière significative les cas de racisme, on l'aurait fait depuis longtemps. Par exemple, un arbitre ne devrait pas avoir la possibilité d'arrêter un match en cas de dérapage, mais le devoir de le faire. Pour cela, il faut que les choses aient été décidées par les instances compétentes », rappelle le Béninois, qui milite pour des sanctions plus dures. « Des interdictions de stade de longue durée ou même à vie, en plus de sanctions pénales, cela ne me semble pas excessif, car certains responsables d'actes racistes sont dans un sentiment d'impunité », argumente-t-il.Dans ce contexte, la décision de la FIFA, annoncée en septembre 2016, de dissoudre son comité antiracisme, installé trois ans plus tôt par Sepp Blatter, a beaucoup surpris, même si l'instance s'était empressée de préciser que la lutte contre le racisme « était un dossier prioritaire. » « Si la FIFA ne veut pas s'investir plus largement, cela veut dire à mes yeux que le problème n'est pas considéré comme il devrait l'être, regrette Abdeslam Ouaddou, qui appelle de ses vœux une prise de conscience collective. Il faudrait dans l'idéal que toutes les familles du football se réunissent : les instances dirigeantes, les fédérations, les syndicats des joueurs, les arbitres… afin de décider quelles mesures adopter pour lutter efficacement contre le racisme. Car si chacun agit dans son coin, ça n'ira pas bien loin. »