Il voulait rentrer au Maroc pour y passer les derniers jours de sa vie. Il est revenu et se meurt dans l'indifférence et l'indignité. Cette histoire vécue de près par l'auteur de ces lignes. En 1986, quelques semaines avant le départ de l'équipe nationale de football pour le Mondial Mexico 86, Abdallah Haidamou se blesse à l'entraînement suite à un choc avec Hcina. Le soir, dans son appartement à Rabat, de nombreux joueurs des FAR (ils habitaient tous le même immeuble) étaient réunis. Les parents de Haidamou et ceux de quelques joueurs y étaient également présents. Hcina, toujours jovial, racontait des blagues, et tout le monde riait à gorge déployée, oubliant la souffrance de Haidamou décidément condamné à ne pas faire le voyage pour le Mondial. Soudain, on entendit des frappes à la porte. «C'est M. Faria», dit le frère cadet de Haidamou. L'entraîneur de l'équipe nationale entre dans le salon, salue tout le monde. Et puis, serre dans ses bras Haidamou plâtré à cause d'une fracture à la clavicule droite, et sanglote. Et c'est tout ce petit monde qui fond en larmes à l'unisson. Aujourd'hui encore, Haidamou se souvient : «Au-delà du fait qu'il était un entraîneur hors-pair, M. Faria a un grand cœur. Il ne nous considérait pas comme des joueurs mais plutôt comme des proches». «Un père affectueux» Bon nombre de footballeurs de l'épopée de 1986, contactés par Le Temps, font le même témoignage. Pour Merry Krimou, «c'était un père affectueux». «Que ce soit avec l'ASFAR ou avec l'équipe nationale, les stages de concentration étaient des réunions de famille. Tout se déroulait dans la joie et la bonne humeur», se souvient Haidamou. Symbole d'une période glorieuse du football national, le nom de José Faria, dit Mehdi Faria, est intimement lié à l'Histoire des Lions de l'Atlas. Cette histoire écrite en lettres d'or à Guadalajara, capitale de l'Etat de Jalisco au Mexique, par Zaki, Timoumi, Dolmy and Co. Première équipe africaine à se qualifier pour le deuxième tour d'une Coupe du monde, le Onze national avait suscité un émoi sans pareil. A l'époque, Nadir Lamyaghri, actuel keeper des Lions de l'Atlas, avait à peine 10 ans. «J'ai suivi les rencontres du Maroc en famille, et au coup de sifflet final du match Maroc-Portugal (3-1), je suis sorti dans la rue avec mes aînés pour crier ma joie», se souvient-t-il, refusant de faire le parallèle avec la finale de la CAN-2004 et la récente victoire face à l'Algérie à Marrakech (4-0). «Cette équipe de 1986 était exceptionnelle. Elle n'a pas son pareil.» Naturellement, à chaque fois que l'épopée de 1986 est évoquée, le nom de Faria revient comme un leitmotiv. Né le 26 avril 1933 à Rio de Janeiro, José Faria n'avait pas une brillante carrière quand il débarqué au Maroc. En tant que joueur, son parcours ne fut pas de longue durée et n'a pas été jalonné de grands succès. «Il en va ainsi de certains footballeurs, nous dit Abdelhak Mendoza, entraîneur du RAC et président de l'Amicale nationale des entraîneurs marocains. Certains joueurs, comme Philipp Troussier ou José Mourinho, ont plutôt une vocation d'entraîneur.» Faria fait partie de cette denrée rare d'entraîneurs qui exercent une magie attirante et attrayante par leur savoir-faire et leur bonhomie. Mais cela n'est pas le fruit du hasard puisque l'homme a acquis une grande connaissance footballistique grâce à une formation académique et surtout en côtoyant les grands noms du football brésilien tel le légendaire Mario Zagalo. Faria se voit confier les jeunes du Fluminense FC dans les années 70. En presque 20 ans, il a conduit les membres de ce prestigieux club à d'énormes succès, récoltant à plusieurs reprises le titre de «meilleur entraîneur des jeunes». Devenu connu et respecté, il est sollicité par plusieurs pays dont notamment ceux du Golfe. Il opte finalement pour le Qatar. Là aussi, il fait des merveilles. En trois ans, il parvient à qualifier l'équipe nationale juniors à la Coupe du monde. Il entraînait également le club local Al-Sadd avec lequel il remporte plusieurs trophées au niveau national. Le déclic arrive en 1982 lorsque feu Hassan II charge son conseiller économique au Brésil de dénicher un entraîneur auriverde. Le choix s'est porté sur un certain Jaime Valente. Ce dernier propose Faria au poste d'entraîneur des FAR sur la demande de feu Hassan II, lequel débourse de ses propres deniers la prime de signature (150.000 dirhams). Une année plus tard, Faria succède à Valente à la tête des Lions de l'Atlas tout en continuant à coacher les militaires. Le succès ne tardera pas puisque l'équipe nationale se qualifie aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. «C'est cette participation aux JO qui a permis de jeter les bases d'un Onze national presque parfait dans tous les compartiments du jeu», relève un observateur. Le sorcier blanc (surnom de Faria) offre par la suite au Maroc sa première Coupe d'Afrique des clubs champions (actuellement Ligue des champions). Au niveau local, il glane avec l'ASFAR un titre de champion (1984) et trois Coupes du trône (1984, 85 et 86). Il conduit l'équipe nationale à deux demi-finales de la Coupe d'Afrique des nations. L'expérience s'achève en 1988 suite à la défaite à Casablanca face au Cameroun de Roger Milla. Un malheureux come-back Une fois éteintes les lampions de l'exploit de 1986, Faria entrera petit à petit dans l'oubli. Il fera cependant quelques apparitions, notamment à Khouribga en 1995. Là aussi sa magie prend. Il conduit l'équipe alors en deuxième division à retrouver l'élite et disputer deux finales de la Coupe du trône. Par la suite, on le voyait de temps en temps dans les gradins assistant à des matchs du championnat national jusqu'à son départ au Brésil. Il y a quelques mois, Faria, très malade, lançait cet appel depuis son pays d'origine : «Je souhaite être enterré au Maroc». Il rentre au Maroc et s'installe à Kénitra. Mustapha El Haddaoui qui l'a rencontré la semaine dernière lors d'un tournoi à Rabat, témoigne : «Je l'ai vu dans un état déplorable. Il n'avait pas de moyens pour subvenir à ses besoins et même pas de portable pour téléphoner et être joint». Mis au courant de l'état de leur ancien coach, Krimou promet de «faire quelque chose», un geste envers ce «grand homme». «Il n'est pas admis qu'un entraîneur de l'envergure de Faria devienne clochard», se révolte Merry. A El Haddaoui qui l'avait perdu de vue, Faria demande le numéro de Abdelmajid Dolmy qu'il apprécie tant. Cela remonte aux débuts des années 1980. Lorsque la CLASS (Centrale laitière association sportive), alors nouvelle locatrice de la division élite, voulait s'adjuger les services de Dolmy, Faria s'était indigné. Il avait proposé la moitié de la somme offerte à Dolmy pour son enrôlement, soit 200.000DH, espérant qu'un ou plusieurs supporters du Raja se manifesteront pour s'acquitter de l'autre moitié et laisser ainsi Lamaâllam finir sa carrière dans son club-mère. C'est dire la grandeur de Faria. Même blessé, Abdallah Haidamou a accompagné l'équipe nationale au Mondial du Mexico 86 pour bénéficier des mêmes primes que les autres joueurs. Mehdi Faria était intervenu en sa faveur auprès de feu Hassan II. «Chose que je n'oublierai jamais», nous dit l'ancien Lion de l'Atlas qui ne trouve pas les mots pour qualifier l'homme. «Les mots, disait Edgar Allan Poe, n'ont pas une vertu suffisante pour frapper l'esprit de la parfaite horreur de la réalité.» Abdelkader El Aine