Les marcheurs du 20 mars veulent ignorer le 9 mars. Décryptage. Il faut donc «obligatoirement» battre le pavé ce week-end ! Au nom du «droit de manifester». De la «sacro-sainte» liberté d'expression. Il est impératif de crier et scander des slogans révolutionnaires. Demander des «réformes profondes». Le mouvement du 20 février ne veut donc pas croire que sa mission est terminée. Son appel a été entendu un certain 9 mars. Jour historique dans lequel le Maroc a basculé dans un new-deal constitutionnel. Non, non ! Au nom de Facebook et de Twitter, on va considérer que le 9 mars n'a jamais existé. Tout est à rejeter ! Un adage disait : «si jeunesse savait, si vieillesse pouvait». Alors, Roulez jeunesse, allez de l'avant, la route est toute tracée, tout va pour le mieux. Au jour du 20 février, vous avez trompetté votre vision de l'avenir sur le goudron de 53 villes, on vous a craints, on a même essayé ici et là de vous museler. Qu'à cela ne tienne, vous avez résisté, déchargé vos poumons de mille et une revendications et puis… Miracle, un ange est passé, on vous a entendus, voire compris ! Oui, car il faut dire que pour l'essentiel, vous aviez tâté du doigt la source du mal qui ronge notre pays. Corruption, clientélisme, incurie partisane, faiblesse gouvernementale, archaïsme des institutions, et vous l'avez si bien fait, si pacifiquement que le Roi vous a tendu la main. Dans son discours, il a dévoilé la maquette d'un big bang constitutionnel. Sans conteste, la décision d'un règne, un tsunami systémique. Mieux, vous sachant impatients, il a, le lendemain de son discours, nommé une commission consultative pour donner corps à vos vœux de changement. Des sages, chapeautés par Abdelatif Menouni, emperleront les nuits blanches pour satisfaire votre besoin de liberté et de transparence. On vous a donc crus heureux, repus, éprouvant cette mansuétude si douce de la mission accomplie. Fatale erreur que nous commettions hélas. Car, avant même que l'on cessât de se pincer du gigantesque bond en avant démocratique décrété par le Roi, vous aviez déjà dégainé un colt chargé de pétards révolutionnaires, les mêmes en somme. Votre gouaille en bandoulière, on vous a découverts plus hargneux, plus déterminés qu'auparavant d'en découdre avec le système. «Ont-ils loupé le discours royal ?» étions-nous tentés de nous questionner. Non, assurément, tel ne pouvait être le cas, votre conscience politique est de ce point de vue trop aboutie. Mais alors, qu'a-t-il pu se produire en ce 9 mars pour que votre colère, au lieu de baisser d'un cran, grimpe au contraire de quelques décibels… ? Mystère, stupeur et étonnement. Bref, une «Dsara» comme on dit en darija. Logique floue floue floue On peine vraiment à saisir la logique démonstrative des vingtfébréristes. Comment continuer à les prendre au sérieux quand, sitôt le projet de refonte entamé, ils s'arc-boutent de plus belle sur des demandes devenues anachroniques. Dissolution immédiate du Parlement, démission collective du gouvernement et monarchie parlementaire, tels sont leurs points d'ancrage. Indéboulonnables, impérieux, ils ne cèdent sur rien. Comme si le royaume ne dispose pas d'une constitution et bel et bien légitime, validée par tous les Marocains. Une commission consultative, un référendum, de possibles élections législatives anticipées, que nenni, la sagesse adolescente n'en veut pas. Les cris de la veille restent les cris d'aujourd'hui et demeureront vraisemblablement ceux de demain. Le 20 mars c'est le 20 mars. Qu'importe qu'entre temps, l'autre bord, somme toute humble, se soit aligné sur leurs propos de la veille. Jeunesse têtue. Jeunesse en manque d'agenda politique. Jeunesse rebelle ! C'est certainement un cliché éculé, mais voila, l'illogisme patent démontré par les vingtfébréristes s'inscrit dans une psychologie de comptoir. L'âge ingrat ne signifie-t-il pas simplement le rejet de toute autorité, fût-elle magnanime et compréhensive ? C'est dans l'ordre des choses. La société, organisme vivant, se fortifie à coups de mues. Du coup on mue, et on mue si bien que rien n'a plus grâce à nos yeux. «Nous voulons la dissolution du Parlement» s'énervent-ils. Et bien soit, au terme d'un vote populaire sanctifiant la nouvelle constitution, le gouvernement El Fassi, devenu caduque, pourrait s'en aller fissa. Au pire, en 2012, on fait table rase du schmilblick et on laisse s'exprimer les urnes. On aura alors, et c'est un fait, une primature fille de la vox populi. «Nous ne voyons aucune légitimité à l'action de la commission, ses membres ont théorisé le makhzen d'antan». Quand feu Hassan II chargeait des constitutionnalistes français d'imaginer nos textes de loi, Mohammed VI, lui, s'adresse à des sages nationaux pour le même exercice. Eh bien non, clament-ils en chœur : «Tous des vendus, ils nous confisqueront notre révolution». Il y a du nauséabond dans l'attitude, un relent de règlement de comptes avec le passé, l'air de dire : «le Maroc de demain devra subir une purge, plus de commis de l'Etat, plus de sages, haro sur tout expert dépassant le demi-siècle» la nuit des longs couteaux se profile, tremblez de vos vieux os ! Jeunesse anti-quinquas ! Nous y sommes, nous y restons ! «Le makhzen ne changera pas, les violences continueront. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir la manière dont on nous a tabassés rue d'Agadir le 13 mars». Oui, les cerbères de l'Intérieur, lobotomisés par l'avant 9 mars ont commis là une bourde inacceptable. Les reflexes passéistes sont durs à décrotter et la «Hogra attitude» se débattra sauvagement avant de céder au plein respect de la dignité humaine. Est-ce à dire qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain et détricoter police, gendarmerie et autre organisme de l'Etat sous prétexte d'une bavure qui, soit dit en passant, a fait l'objet d'excuses plates de la part du préfet de police de Casablanca Mustapha Mouzouni. «Nous voulons damer le pion aux médias officiels» insistez-vous. Or, que constate-on? Ghizlane Benameur, une de vos porte-parole a eu ces mots en prime time sur Al Aoula «Nous exigeons la séparation des pouvoirs, l'élargissement des prérogatives du gouvernement, la revue de l'article 24, la fin de l'ingérence de la monarchie dans l'exécutif». Dans le monde de l'avant-9 mars, quiconque aurait imaginé pareil scénario, aurait été interné pour cause de démence terminale. Or, qu'à-t-on vu ? Une demoiselle, droite dans ses bottes, appelle à l'éradication d'un média propageant sa bonne parole à des millions de foyers ébahis. Kafkaïen ! A la vérité, et Ahmed Réda Chami le résume bien (voir Temps fort), «Patientons trois mois, le temps que le projet de constitution soit prêt et ensuite, si la mouture mitonnée par la commission n'est pas de notre goût, sortons et battons le pavé de plus belle». Mieux, votons non au référendum, c'est là un droit inaliénable. Mais de grâce, pourquoi persister mordicus dans une ligne d'opposition figée. Tout se passe comme si le discours du 9 mars n'a jamais été prononcé. A ce stade, le comportement des vingtfébréristes s'assimile davantage au «coup d'éclat» permanent, une sorte d'avidité médiatique, l'envie folle d'occuper le terrain ne serait-ce que pour festoyer ensemble, faire de la voie publique une sorte d'apéro Facebook géant. D'ailleurs, d'aucuns furent abasourdis qu'on improvise un «flash mob» devant le siège du Parlement à Rabat. Un «flash mob» (acte de s'immobiliser collectivement dans un lieu public de grande affluence), c'est d'un sérieux tuant ! Non ? Plus sérieusement, les positions désormais nihilistes «mort au système» et sans concessions du 20 février, ce faux «antiparlementarisme de crise» (Anthony Rowley), ne servent ni les intérêts des jeunes, ni ceux de la Nation. Présentement, nous nous trouvons à l'orée d'un vrai changement, les prochaines semaines seront à cet effet décisives. Par conséquent, il y a un choix à faire. Soit ce mouvement d'essence légitime respecte une trêve et se coule dans le moule de la crédibilité en attendant le référendum, soit il tombe dans une cacophonie juvénile et acnéique, un «béni non-nonisme» capricieux et sans but, faisant capoter son considérable acquis idéologique. Quoi qu'il en soit, il semblerait qu'hormis le discours du 9 mars, la marche d'un million de manifestants du 20 mars sera maintenue, et cela, dans la configuration actuelle, n'est, hélas, ni plus ni moins qu'une «Dsara». Et puis que représente 1 million de jeunes par rapport à la population du Maroc ? Réda Dalil