Sur le Web, l'attachement au monarque est fervent, malgré certaines voix dissonnantes. Décryptage. le déluge amoureux version Saint-Valentin paraît bien pâlichon à l'aune de l'avalanche de déclarations transies que recueille Mohammed VI sur Facebook. Le conte de fées commence en décembre. Les Tunisiens battent le pavé pour bouter Benali hors de son piédestal autocratique. La révolte du Jasmin fait une OPA farouche sur les profils de nos Facebookers nationaux. L'heure était à la solidarité maghrébine. Des professions de foi spontanées pullulent sur la Toile. Des Tunisiens, on érige un modèle de bravoure, d'abnégation devant la chape de plomb «bénaliste». Branle-bas de combat, le potentat tombe. Commencent alors des supputations nauséabondes. Des amalgames émergent. La révolution du Jasmin donne des idées guévaristes à une poignée de pseudos militants rompus à la contestation du régime monarchique. Le mouvement atteint son apothéose au moment où l'Egypte, à son tour, s'embrase. Là, surgit des abîmes du Web, un concept contre nature. De fait, un bloggeur, tapis sous une identité inconnue, crée le groupe qui fâche. Objectif : capitaliser sur les soulèvements tunisien et égyptien pour calquer le modèle sur notre pays. Une manifestation est programmée. Celle-ci aura supposément lieu le 20 février à Casablanca. Le propos est martin-luthérien. «A Date with freedom» (Rendez-vous avec la liberté). Les premiers échos de la fronde anti-régime se propagent sur le réseau social. Patatras, la cavalerie contre-offensive déboule. I love my King On crie à l'intox et, pour tuer l'incurie dans l'œuf, des centaines de milliers de Facebookers remplacent leurs photos de profile par celle du roi. Typiquement, on choisit une image qui a valeur de symbole. On y voit Mohammed VI ceint d'un bouclier de mains agrippées les unes aux autres. Un blocus humain abritant le monarque. Façon de dire «Touche pas à mon roi». Partant, la M6-mania battra son plein. Les statuts s'engorgent de minimessages de soutien. «On t'aime, que Dieu te préserve». Contrant le parallèle dressé entre les déflagrations tuniso-égyptiennes et le Maroc, les facebookers piochent dans le référentiel national, des sources de ralliement. «Contrairement à ces pays, au Maroc, nous partageons une vision, nous avons une cause, celle du Sahara. Nous nous battrons pour préserver notre intégrité territoriale.» Au cri d'amour brut destiné au roi, se greffe un florilège d'arguments politiques. Les uns vantent le bilan économique des dix dernières années et pour dynamiter les propos des insurgés quant à l'explosion des inégalités, Omar a inscrit sur son statut : «Et l'INDH, vous en faites quoi ? Ce projet coûte des milliards ! Il sortira le pays de la pauvreté». Quoi qu'approximatif, le propos est symptomatique d'une inclination sans équivoque pour l'œuvre sociale du monarque. La fièvre patriotique ranimée par la manif du 20 février donne lieux à diverses expressions. Un sociologue r'bati note que le débat «s'écarte du cadre purement linguistique pour couvrir le champ musical et, plus largement, tout symbole lié à l'appartenance national». Et pour cause, on assiste en quelque sorte à une redécouverte de reliques artistiques. L'hymne au Sahara, Laâyoune Aynia, chant patriotique estampillé Jil Jillala, fait un come-back retentissant. Rares sont les profils où ce tube nationaliste ne carillonne pas son attachement à nos provinces du Sud. Phénomène insolite, la réappropriation du folklore chauviniste s'empare d'endroits aussi improbables que les boîtes de nuit casablancaises. Ce gérant d'un établissement ayant pignon sur rue s'étonne des tendances marocophiles de ses habitués : «Quand le DJ a programmé l'hymne national en fin de soirée, on a eu droit à une bronca d'applaudissements ponctués ci et là par des Mgharba hta lmoute, depuis, Manbita al ahrar fait partie de notre playlist». Les ramifications de l'idylle monarchique transcendent le Web et les discothèques. Larbi, propriétaire d'une échoppe de DVD sur le boulevard Zerktouni a vu fondre son stock de portraits royaux comme neige au soleil. En attendant le « prochain arrivage de Maradji», il ronge ses freins. Valeur refuge La M6-mania écrase tout sur son chemin. Pour autant, elle rend compte de deux phénomènes notables. D'abord, le patriotisme version marocaine n'a qu'un vecteur : le roi. Aucune autre institution, aucun parti politique, aucun fait historique, aucune réussite nationale, aucune gloire sportive ou intellectuelle, n'est hissé au panthéon de l'amour national. Le roi cristallise toutes les passions et l'attachement qu'il suscite est inversement proportionnel à la légitimité du jeu politique. En clair, plus on aime Mohammed VI, plus on rejette le gouvernement et ses ministres. Ainsi, le premier d'entre eux, Abbas El Fassi est décrié à longueur de statuts. Les ministres traînent une réputation peu reluisante, mélange de suspicion et de détestation franche. Dans cette configuration, Mohammed VI devient une valeur refuge, rempart ultime à la futilité d'une classe politique jugée (à tort ou à raison) «désuète». «La vague d'amour destinée au roi, souligne notre sociologue, a trahi une absence totale de sensibilité historico-politique chez nos jeunes patriotes.» De fait, les débats engagés avec les chantres du 20 février virent rapidement au pugilat verbal, injures et calomnies à l'appui. De l'autre côté, le discours est rôdé. Les insurgés, naturellement politisés, avancent des arguments qui, non sans emprunter à une certaine fantasmagorie, se drapent d'un semblant de rationalité. Pour autant, il semblerait que les pseudos contestataires souffrent d'un bug. Leur leader autoproclamé, le sinistrement dénommé Rachid spirit Zata, aurait tenté de soutirer quelques deniers aux brebis égarées ayant accepté de rejoindre son mouvement. L'information a été relayée sur l'antenne d'«Europe 1» par le chroniqueur Guy Birenbaum. En fait, le Guevara facebookien serait un anarchiste doublé d'un misanthrope développant des tendances suicidaires. Las, l'idée a fait «inception», comprendre son petit bout de chemin dans la psyché des internautes. Malgré le flot incessant d'allégeances digitales au Trône, force est de constater que la manif' aura bien lieu. Sur hespress.com, une vidéo stupéfiante est mise en ligne. C'est une succession de témoignages de citoyens prêts à défiler le 20 février. Les phrases débutent invariablement par un «Ana maghribi», pour se conclure avec une courte doléance. Une jeune fille déclare «Je suis marocaine et je compte participer à la marche du 20 février car, je veux d'un Maroc pour tous, sans hogra ni discrimination». Prend la parole ensuite un quadragénaire au rasage imparfait, même amorce et puis : «Il faut respecter le droit des travailleurs et interdire l'exploitation des uns par les autres»… Somme de revendications éparses, témoignant d'un malaise social profond, l'appel du 20 février inquiète. Asmae, étudiante en com', photo de profil à l'effigie du roi résume sa crainte dans un statut : «Cette manifestation risque d'être récupérée par des mouvements anarchiques se situant aux antipodes d'une contestation honnête. Nous aimons notre roi, nous tenons à la stabilité de notre pays, j'implore tous mes amis de ne pas y aller et Aacha al Malik». La sagesse n'attend pas le nombre des années. Réda Dalil