Le marché du tabac s'apprête à vivre un chamboulement sans précédent. Il est désormais ouvert à la concurrence et l'entrée en jeu de nouveaux acteurs est imminente. Le ministre de l'Economie et des Finances vient de publier un arrêté qui met fin à la situation de monopole dont profitait le groupe Altadis depuis belle lurette. En effet, depuis le 1er janvier 2011 le marché du tabac est ouvert à la concurrence. Initialement prévue pour fin 2007, la suppression du monopole d'importation et de distribution en gros des tabacs manufacturés aura été prolongée jusqu'au 31 décembre 2010. Cette prorogation visait à renforcer la place du secteur de la tabaculture au Maroc et à faire face à la baisse continue de la demande de tabac brun. « Cette baisse, qui constitue une tendance mondiale, nécessite la mise en place de mesures d'accompagnement et de soutien spécifiques en vue de la reconversion de la tabaculture marocaine vers les tabacs blonds », expliquait alors le département des Finances. La libéralisation est aujourd'hui une réalité avec la publication de l'arrêté n° 3335-10 du ministre de l'Economie et des Finances en date du 15 décembre. Cet arrêté réglementant l'ouverture du marché traite des moyens d'entreposage, de manutention et de transport pour l'approvisionnement des débitants de tabacs. Le futur distributeur en gros de tabac manufacturé doit satisfaire un certain nombre de conditions. La première est de disposer d'au moins un centre de distribution principal dans le chef lieu d'une région du royaume et d'un centre et/ou entrepôt dans chacune des autres régions. Ces centres doivent tous être dotés d'aires de stockage propre exemptes d'odeurs et permettant de préserver la qualité des produits. L'arrêté du Ministre donne en exemple le cas des cigares. Ceux-ci doivent être stockés dans des locaux garantissant une humidité relative de 65 à 70% et une température de 16 à 18 °C. Marlboro dans le giron d'Altadis La deuxième obligation à laquelle sont astreints les éventuels distributeurs concerne l'approvisionnement des débitants, qui leur sont liés par contrat. Les distributeurs doivent leur assurer un approvisionnement selon une cadence minimale bimensuelle. «Chaque distributeur se voit dans l'obligation de signer 10 contrats au niveau de chaque province ou préfecture. Au total, il doit disposer de près de trois cents contrats sur tout le territoire », souligne une source proche du dossier. Les futurs distributeurs sont également obligés de disposer d'au moins quarante véhicules dédiés à l'activité de transport. Ces véhicules, qui peuvent être détenus en moyen propre ou sous-traités, doivent être dotés d'une caisse rigide. « Lorsque le transport est groupé avec d'autres produits, ces derniers doivent être non salissants et ne doivent dégager aucune odeur », souligne l'arrêté du ministre de l'Economie et des Finances. Dans cette perspective, le marché du tabac connaitra, à coup sûr, une reconfiguration avec l'arrivée imminente d'autres acteurs et non des moindres. Selon une source digne de foi, les groupe British American Tobacco (BAT) et Japan international Tobacco (JIT) auraient préféré résilier les contrats qui les lient au groupe Altadis. Voulant « faire cavalier seul », ils auraient décidé de procéder à la mise en place de leur propre réseau de distribution, pour leurs marques respectives, notamment Dunhil et Kent pour le premier et Winston et Camel pour le second. En revanche, le groupe Philipe Morisse International, dont la marque phare Marlboro est fabriquée sous licence et distribuée par Altadis, aurait fait le choix de poursuivre son partenariat avec Altadis en vertu d'un accord à long terme. Dislog entre en jeu Depuis déjà quelques mois, le marché du tabac avait connu une certaine perturbation marquée par la faible disponibilité de certaines marques, notamment les Winston et les Camel. Un petit tour chez les buralistes de la place suffit pour se rendre compte des prémisses des changements à venir. En effet, plusieurs débits de tabac arborent des présentoirs aux couleurs de la marque fétiche du groupe Altadis, les Gauloises. Interrogé, l'un d'entre eux nous confie que le groupe Altadis leur a expressément interdit d'achalander sur ces présentoirs les marques de ses futurs concurrents. Selon nos sources, JIT et BAT s'attellent déjà à la mise en place de leurs bureaux de représentation et les pourparlers sont en cours en vue d'une éventuelle association avec des institutionnels marocains pour leur confier la gestion et l'animation des réseaux de distribution. La société Dislog, spécialisée dans la logistique et la distribution de produits de grande consommation, est sur le point de décrocher un contrat avec l'un d'entre eux. Dans ces cas de figure, comment est-ce que Altadis, longtemps protégée, vivra-t-elle cette libéralisation tant attendue ? « A vrai dire, le groupe s'est préparé à cette échéance depuis 2003 déjà ; date à laquelle il avait acquis 80 % du capital de la Régie des Tabacs », commente une source chez Altadis ayant requis l'anonymat. En effet, la privatisation de la Régie des Tabacs et son adossement à un groupe de renommée international répondaient à un objectif très clair : préparer l'entreprise à la libre concurrence dans le cadre des accords de libre échange conclus par le Maroc. « Les efforts du groupe se sont traduits par une mise à niveau des infrastructures, une optimisation des circuits de distribution et une refonte totale des processs de fabrication. L'objectif étant d'augmenter le volume de production et d'améliorer la qualité des produits », poursuit notre source. Résultat de fin de course : le groupe peut se targuer aujourd'hui de produire localement des marques de cigarettes internationales. Les Marquises indétrônables C'est en 2003 que la Régie des Tabacs a été privatisée avec la cession de 80% de son capital au Groupe Altadis, issu de la fusion en 1999 entre l'espagnol Tabacalera et le français Seita, pour un montant de 14,08 milliards dirhams. Trois ans plus tard, l'Etat cédera les 20% restants du capital à Altadis au prix de 4,02 milliards DH. En 2008, le groupe britannique Imperial Tobaco (4è au niveau mondial) acquiert 100% du capital du groupe Altadis (5è). Avec l'arrivée du marquage fiscal, en vigueur depuis janvier 2011, il n'est pas exclu que Altadis Maroc procède à une augmentation des prix des cigarettes. En attendant, le marché demeure dominé par la marque Marquise qui se taille la part du lion avec 55 à 60%, tandis que les Marlboro ne représentent que 13 à 14% et les Winston 4,5% de part de marché. A noter que le marché parallèle représente 10% du marché de tabac au Maroc. Said El Hadini (Le Temps)