Eternel étranger et citoyen du monde, qui se sent «partout chez lui», Fouad Laroui nous parle de son œuvre, de sa vie… D'où puisez-vous votre inspiration ? La vie quotidienne est pleine de surprises. Tout part de là : quelque chose, un incident, un micro-événement qui me surprend, m'amuse ou m'irrite. C'est le point de départ. Ensuite, l'imagination prend le relais, la plume vole sur le papier, c'est toute une cascade de conséquences cocasses ou tragiques qui s'ensuivent… Le réel et le fictif s'entremêlent ainsi et on finit par ne plus pouvoir les distinguer. Où finit l'un, où commence l'autre ? On ne peut plus le savoir et c'est tant mieux… Le choc culturel est l'un de vos sujets de prédilection. Pourquoi ? Tout d'abord, la notion même de culture est floue, compliquée et peut mener à toutes sortes de malentendus. C'est donc un sujet qui m'intéresse parce que j'aime bien tenter d'analyser ce qui est difficile : c'est peut-être une séquelle de toutes ces années où j'ai fait des mathématiques… Ensuite, il me semble effectivement que le choc des cultures est ce qui définit le mieux le monde actuel. Ça peut être tragique – toutes ces guerres… - mais aussi amusant. Je n'ai pas moi-même vécu de choc de civilisations car, comme beaucoup de Marocains, je suis de culture hybride et je suis chez moi partout – sauf peut-être chez les Esquimaux mais, bon, je ne suis pas allé rôder dans le Grand Nord. Pourquoi ce penchant pour le social et non pour le politique pur et dur ou pour la philosophie ? Le politique pur et dur mène au pamphlet, qui n'est pas un genre très intéressant. Ce qui existe, ce sont les gens, les individus, la société. Tout le reste se greffe là-dessus. Quant à la philosophie, j'espère que certaines de mes nouvelles peuvent être considérées comme des contes philosophiques, qui portent en eux une morale, un point de vue. La nouvelle Être quelqu'un, dans mon dernier recueil, est clairement une réflexion sur le destin et sur la foi. L'humour est-il inné chez vous ? Etes vous quelqu'un de drôle et de satirique ? Et si vous nous racontiez une anecdote ! Je ne sais pas si je suis drôle dans la vie quotidienne. Il faudrait demander à mon chat. De toute façon, je passe mes journées à lire des ouvrages très sérieux, à la limite du barbant, sur l'économie, la philosophie, la linguistique… Je ne ris que rarement. Cela dit, quand j'écris, le côté absurde de l'existence m'apparaît avec une telle clarté que je ne peux pas m'empêcher de me moquer de nos petits travers, de notre prétention à donner un sens à ce chaos. C'est peut-être ça l'humour. Quant à vous raconter une anecdote, comme ça… Vous n'avez pas besoin de moi : regardez autour de vous. Vous écrivez en deux langues et obtenez des prix pour des ouvrages édités dans ces mêmes langues. C'est quoi votre formule magique ? Maîtriser une seule langue ou plusieurs, ce n'est pas ça qui fait l'écrivain. Il y a un plus : une sensibilité, un style, une attitude vis-à-vis du monde… C'est très mystérieux. S'il y avait une formule magique, croyez bien qu'on l'aurait trouvée et qu'elle se vendrait très cher… Il y a des ateliers d'écriture qui peuvent aider à mettre en forme ses idées, à acquérir quelques bons réflexes, mais il y a une part d'impondérable. Heureusement ! La vie serait terne si tout pouvait s'expliquer aisément. Qu'est-ce que le fait d'écrire pour vous ? Une façon de vivre. Une façon d'ordonner le monde. Quels sont les auteurs qui vous ont inspiré ? Des auteurs qui m'ont inspiré, il y en a vraiment beaucoup. Je pourrais dire Voltaire, Diderot, Lawrence Sterne, le Chateaubriand des Mémoires d'outre-tombe, André Breton, Courteline et Alphonse Allais qui sont injustement considérés comme des auteurs mineurs, Queneau et Pérec, etc. Pourquoi ? Parce que chacun d'eux avait un grain de génie. Comment ? Ce n'est pas à moi de le dire : il y a des universitaires pour ça… Quels sont les livres qui vous ont marqué ? Le livre des livres, c'est La Recherche du temps perdu de Proust mais il ne faut pas le lire avant d'avoir soi-même vécu, il faut le lire après quarante ans. A part cela, il y a des dizaines et des dizaines de textes à citer, le Candide de Voltaire, Des merveilles de Nabokov, Nadja de Breton, des textes de Proust, Gracq, certains poèmes d'Aragon… La liste est interminable. Des critiques comparent votre style à ceux de feu Driss Chraï bi ou Tahar Ben Jelloun. Qu'en pensez-vous ? Ça, ce n'est pas à moi de le dire : encore une fois, voyez avec les universitaires et les critiques littéraires sérieux. Mais je crois quand même que chacun a son style et que chercher des liens est un exercice sans grand intérêt. Quant à mon avis sur ces deux auteurs, je vous renvoie aux études que j'ai publiées sur eux, notamment dans le Magazine Littéraire Marocain. Vous privilégiez les écrits courts, les nouvelles entre autres. Pourquoi ? Si on peut dire en deux pages ce qu'on a à dire, il faut le faire. Pourquoi étaler cela sur deux cents pages ? Quelle est votre philosophie dans la vie ? J'ai tendance à répondre : oui, c'est la devise de Courteline : «Je m'en fous.» Plus sérieusement, ma philosophie de la vie, c'est «faire le moins de dégâts possible». Si tout le monde l'adoptait, le monde serait peut-être vivable. Avez-vous une connaissance qui pourrait aider l'humanité ? Que faut-il au monde ? N'étant pas prophète – heureusement, car les horaires sont infernaux - je n'ai pas du tout la prétention de détenir une connaissance ou une vérité qui pourrait aider l'humanité entière. Déjà, si je pouvais être utile à mon chat… Cela dit, j'ai ma petite idée sur ce qu'il faudrait au Monde : moins de gens et plus de papillons. De quoi a besoin le Maroc pour assurer un développement pérenne ? De continuer. «La voie est droite mais la pente est rude», disait le grand philosophe Raffarin. Si j'avais une baguette magique, je le ferais changer de continent : avoir pour voisins l'Argentine et le Brésil, ça aurait de la gueule, non ? Avez-vous des regrets ? Aucun. La vie est devant soi. Se retourner est une perte de temps. Vous êtes également critique littéraire. Vous arrive-t-il de faire de l'autocritique ? Je n'ai pas la distance nécessaire. Il y a peut-être des scènes que je changerais aujourd'hui dans De quel amour blessé. Et je simplifierais peut-être le style de Philomène Tralala. Mais encore une fois, on est très mal placé pour faire la critique de ses propres ouvrages. Un conseil pour les jeunes qui désirent écrire ? Etre soi-même, ne pas chercher à épater le lecteur. Faire preuve d'humilité. Travailler. Lire énormément. Et surtout : écrire d'abord pour soi-même. Si ce n'est pas une pulsion, une envie irrépressible, une nécessité, ce n'est pas la peine. Propos recueillis par Amine Amerhoun