Les événements de Laâyoune, s'ils n'ont pas (encore) livré tous leurs secrets, ont au moins eu le mérite de montrer que le danger peut également venir de l'intérieur. Comment et pourquoi. Contrairement à ce que prétendait Sartre, l'enfer n'est pas que les autres. Certains actes, prémédités ou sans intention, peuvent conduire à l'enfer. L'irrémédiable. Ceux qui ont eu pour conséquence les tristes événements de Laâyoune, avec leur cortège de dégâts humains et matériels, sont pour le moins répréhensibles. Et on ne sait si la Commission parlementaire d'enquête, censée jeter la lumière sur ces faits, ira jusqu'au bout de son travail pour éclairer l'opinion publique sur les raisons qui ont conduit à ces événements dramatiques (11 morts parmi les forces de l'ordre et plusieurs maisons, véhicules et commerces saccagés). Le doute est permis. Puisque deux composantes importantes de ladite commission se livrent à un jeu de tir à la corde, chacun poussant vers l'incrimination de l'autre. Il s'agit du parti de l'Istiqlal (PI) et du Parti authenticité et modernité (PAM), les deux formations politiques étant représentées par leurs chefs de groupe parlementaire à la première Chambre, respectivement Latifa Bennani Smirès et Hamid Narjiss. Selon des sources bien informées, le PI tend à incriminer l'ancien wali de Laâyoune Mohamed Jelmouss, proche du PAM tandis que ce dernier désigne comme tête de turc Hamdi Ould Errachid, président du Conseil municipal de la ville et par ailleurs coordinateur du PI dans cette région. Un communiqué rendu public par ladite commission dément «catégoriquement toutes les informations véhiculées par certains organes de presse, en dehors de ses communiqués officiels, relatives au climat dans lequel se déroulent ses travaux et concernant certains de ses membres». «Les séances d'audition et de collecte de données et de documents dans la ville de Laâyoune se poursuivent en présence de tous les membres de la commission en toute confidentialité et dans un climat serein et normal, loin de toute interprétation», conclut le communiqué diffusé par la MAP le 15 décembre. De la poudre aux yeux, serait-on tenté de dire. Un bras de fer qui sent la poudre Le bras de fer, voire l'animosité entre l'Istiqlal et le PAM est un secret de polichinelle. Pas un jour sans que les deux partis ne se tirent dans les pattes. Flingueur en chef, tireur d'élite patenté, Hamid Chabat, membre du Comité exécutif du PI, jette de l'huile sur le feu. Pour lui, toute occasion est bonne pour tirer à boulets rouges sur le PAM. A telle enseigne qu'un membre influent du PAM a déclaré, amusé, que Chabat a deux occupations dans sa vie : la première est la mairie de Fès et la seconde qui l'empêche de s'acquitter de la première est de critiquer le PAM à tout bout de champ. Pour la petite histoire, un télégramme «très discret» du quotidien Al Massae nous apprend que M. Chabat a été invité la semaine dernière à une grande fête dans une somptueuse villa à Rabat aux côtés de nombreux membres du PAM avec lesquels il était en bonne intelligence. «D'où la question de savoir si les sorties tonitruantes de maire de Fès ne sont que des «chabattiates» ou «chabatteries» destinées à amuser une galerie qui ne demande qu'à l'être», s'interroge, non sans une pointe d'ironie, le billet d'Al Massae. Pour sa part, le PAM n'est pas en reste. N'a-t-il pas tenté, à charge de revanche, dans un coup de théâtre sans précédent, de bloquer le budget du ministère de l'Equipement à la Chambre des conseillers. Le texte ayant été rejeté par cinq voix du PAM contre deux «pour» de la majorité et une abstention de la FDT (Fédération démocratique du travail). Karim Ghellab, pourtant toujours calme comme une mer apaisée, est sorti de ses gonds pour traiter les «frondeurs» de tous les noms. «Leur but, a-t-il expliqué, n'était pas de discuter le budget, mais tout simplement de bloquer les projets du ministère.» Autre illustration de ce bras de fer, les séances des questions orales à la Chambre des conseillers. Hakim Benchamach, membre du bureau national du PAM et président du groupe parlementaire du parti dans ladite Chambre, décoche souvent ses flèches contre Yasmina Baddou, ministre de la Santé, estampillée PI. Les vidéos de cet acharnement avec les réponses désarçonnées de la ministre font le tour de la Toile. Postées sur Youtube et Hespress, les vidéos «dérident» par ce qui peut être assimilé à un combat de coqs. Pis encore, Abbas El Fassi, Premier ministre et Secrétaire général du PI, est allé même jusqu'à demander l'arbitrage royal. «Qu'un parti de l'opposition demande l'arbitrage royal est compréhensible. Mais que cela émane d'un parti qui gouverne et qui plus est à la primature, est grave», a écrit un politologue dans un quotidien de la place. Le quotidien Akhabar Al Youm s'est fendu d'un édito peu amène à l'égard des deux formations politiques. «Le duel PAM-PI a provoqué une fissure où se sont infiltrés le Polisario et les services secrets algériens provoquant les dégâts que l'on sait», a asséné le quotidien. Le «J'accuse» de Ould Errachid Au-delà des spéculations oratoires et des différentes interprétations, les propos des concernés laissent pantois. Il en va notamment de Hamdi Ould Errachid, dirigeant istiqlalien et président du Conseil municipal de la ville de Laâyoune. Dans une interview fleuve accordée aux quotidiens porte-parole du parti, Al Alam et L'Opinion, Ould Errachid n'y va pas de main morte, accusant fortement l'ex-wali de Laâyoune d'être responsable des tristes événements qu'a connus la ville. «C'est lui qui est à l'origine des pertes immenses, matérielles et morales du royaume, à l'intérieur comme à l'extérieur, du fait de sa mauvaise gestion. Nous soutenons que tous les autres responsables sont innocents en ce qui concerne ce qui s'est passé et ne sauraient être comptables des méfaits du wali, lequel est aussi, et de ce fait, responsable des morts tombés lors de ces événements et des pertes consécutives aux actes de vandalisme», a-t-il dit. Et d'ajouter : «M. Jelmouss, en sa qualité de wali de la région, doit être déféré devant la justice qui devrait se prononcer au sujet des actes criminels dont Laâyoune, en particulier, et le Royaume du Maroc, en général, ont pâti». Des déclarations incendiaires qui laissent bouche bée et qui ont inspiré au quotidien Libération le commentaire suivant : «L'après-Gdim Izik ne fait que commencer». Pour certains observateurs, le clan Ould Errachid ne serait pas étranger aux événements de Laâyoune. Dans ce qui est qualifié par l'hebdomadaire L'Observateur du Maroc de «flagrants délires», le dirigeant istiqlalien reconnaît que le camp était «une réponse au refus du wali d'accorder les autorisations nécessaires pour la construction de mille neuf cents lots, préparés par Al Omrane, et «distribués» par le clan Errachid». «Ces péripéties, commentel'hebdomadaire, sont la preuve que le système des notables a atteint ses limites et qu'il fragilise l'Etat, sans apporter un encadrement efficace.» Le cas Jalmouss Mohamed Jalmouss, l'ancien wali de Laâyoune et de la région de Doukkala-Abda, mérite de figurer dans les annales du Maroc des mille et un paradoxes. Deux semaines après les événements de Laâyoune, il est nommé wali de la région de Doukkala-Abda. Une sorte de «promotion» qui a laissé perplexes tous les observateurs. Mais voilà que trois semaines plus tard, la sanction tombe : limogeage. Cette fois, M. Jelmouss n'ira nulle part, du moins pour le moment. Selon des sources concordantes, l'ex-wali de Laâyoune aurait été mandaté par le PAM pour contrer la mainmise du PI sur la région considérée comme un fief du parti de Abbas El Fassi. Des observateurs rappellent à l'occasion les liens intimes entre les habitants du Sud et le parti de l'Istiqlal lequel prenait en charge, dans le nord, la scolarisation des fils des notables de la région qui s'opposaient à l'occupation espagnole. Le PAM qui cherche un pied dans la région a déjà réussi quelques coups d'éclat sans grabuges en plaçant quelques fidèles, notamment les gouverneurs de Samara et de Tarfaya, respectivement neveu et cousin de Mohamed Cheikh Biadillah, secrétaire général du PAM. D'ailleurs, aux dernières nouvelles, M. Biadillah serait pressenti pour le poste de président du CORCAS (Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes) en remplacement de Kheli Henna Ould Errachid. Un autre sujet qui devra alimenter les discussions dans les semaines, voire les jours à venir. A Laâyoune, l'«excès de zèle» de M. Jelmouss et son bras de fer avec le clan Ould Errachid a tourné au vinaigre. «Mohamed Jelmouss ne comprend rien à la politique. Il n'est venu à Laâyoune que pour servir un agenda préalablement fixé par des milieux connus pour leurs positions populistes», a encore asséné Hamdi Ould Rachid. Le double limogeage de M. Jelmouss est considéré comme une victoire pour le PI. Il donne aussi raison aux adeptes de la culture de la reddition des comptes dont Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), qui n'a pas caché sa satisfaction. «C'est ce qui devrait avoir cours dans un Etat de droit qui fonctionne normalement. Cette décision va avoir un impact extrêmement positif. Il y a détermination des responsabilités, contrairement à ce qu'on aurait pu croire en prenant l'exemple d'Al Hoceima, il y a eu sanction. Ce qui confirme qu'il y a lieu d'espérer.» Le député du Parti de la justice et du développement (PJD), Lahcen Daoudi, estime, lui, qu'il s'agit d'«un sursaut de l'Etat en même temps que d'un camouflet pour l'Etat». Dans son édition du lundi 20 décembre, l'Economiste s'interroge si M. Jelmouss n'est pas «victime de son idylle avec le PAM». De nombreux observateurs répondent par l'affirmative. Gajmoula signe et persiste A cette équation, aux variables connues que sont le PAM et le PI, s'est ajoutée la voix discordante de Gajmoula Bent Abbi, membre du Parti du progrès et du socialisme (PPS) et députée à la première Chambre. Mandatée par le ministre de l'Intérieur pour «négocier» avec les campeurs de Gdim Izik, elle a assisté à toutes les péripéties, les rebondissements ainsi qu'aux tournures dramatiques suite au démantèlement de ce camp. Mme Bent Abbi a dénoncé, dans un entretien accordé aux médias espagnoles, l'usage la force par les autorités marocaines. Des déclarations qui lui ont valu bien des désagréments. D'autant qu'il y a eu mort parmi les forces de l'ordre. Traitée de tous les noms, la députée PPS, dont le mari Fadel Ismaïl a été assassiné par les services secrets algériens en 1991 à Londres, est revenue à la charge. «Les choses ont commencé petitement par des revendications sociales et ont pris une tournure plus dramatique après un déni d'écoute des autorités locales. Tout cela ne serait pas arrivé si on avait pris correctement la mesure des choses au moment opportun.» Gajmoula Bent Abbi va plus loin en faisant endosser la responsabilité au ministère de l'Intérieur et à l'ex-wali. «Quelques heures avant l'intervention des forces de l'ordre pour le démantèlement du camp Gdim Izik, j'ai contacté le wali qui m'a assuré qu'il n'y aurait aucune intervention. Ou bien il n'était pas au courant ou bien il me mentait. J'ai également contacté le ministère de l'Intérieur dont un représentant m'a assuré que les négociations allaient se poursuivre», a-t-elle déclaré à la veille de la tenue de la troisième cession du Comité central du PPS le week-end écoulé. D'ailleurs, alors que l'on s'attendait à ce qu'elle soit désavouée par son parti qui avait auparavant sorti un communiqué indiquant que «ses propos n'engageaient qu'elle», là voilà confortée dans sa position. Mieux, le SG du PPS, Nabil Benabadallah a pointé «la gestion édilitaire des affaires locales et la mauvaise répartition des richesses qu'elle engendre». Pendant ce temps, Taib-Fassi Fihri, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, se félicite du 4è round de pourparlers informels sur le Sahara et des «propositions concrètes du Maroc pour accélérer le rythme des négociations» ainsi que de l'annonce par l'envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU Christopher Ross de de la tenue de nouveaux pourparlers informels les 21 et 22 janvier et en mars 2011. Une victoire pour la diplomatie marocaine qui a expliqué les tenants et les aboutissants des événements de Laâyoune et de l'orchestration médiatique dont ils ont fait l'objet par les médias algériens et ibériques. Pendant ce temps, la famille belgo-marocaine Rachidi, en compagnie de ses avocats, continue son périple européen pour dénoncer l'outrage qui leur a été fait par l'utilisation du crime dont elle a été victime à Casablanca et dont la photo a été publiée par Atena 3 comme étant celle des événements de Laâyoune. Et pendant ce temps, les familles des forces de l'ordre, meurtries par la disparition des leurs… Voilà que PAM, PI, Ould Errachid et Gajmoula continuent de se trucider par médias interposés. Vraisemblablement écoeuré par cet étalage de linge sale, un brillant chroniqueur d'Assabah a titré : «Farrajtou fina al âdyane» (Vous avez fait de nous la risée des ennemis». C'est on ne peut plus édifiant. Abdelkader El-Aine