Les chiffres officiels et d'organismes indépendants abondent et se contredisent. A tel point que le commun des mortels ne sait plus à quel saint se vouer. Pourquoi. En matière de données statistiques, les prévisionnistes du secteur public (HCP) et les conjoncturistes du privé (CMC) ne sont jamais sur la même longueur d'onde. A titre d'exemple, le PIB, indicateur le plus emblématique de la réalité économique, a toujours été différemment S'il n'est aucun doute que notre système statistique est aujourd'hui en harmonie avec les normes et pratiques internationales, le Maroc étant admis à la Norme spéciale de diffusion des données du FMI, la pluralité des producteurs de l'information statistique, chose courante dans les pays les plus développés, donne lieu parfois à une appréciation différente de la réalité socioéconomique. Tout le monde se rappelle en effet les quiproquos autour du nombre d'emplois perdus dans le textile en 2004 entre l'ancien Premier ministre, Driss Jettou, et le Haut commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi. Et plus récemment encore entre le département de l'Emploi et le HCP, sur la véracité du taux de chômage. Tandis que la polémique sur les prévisions de la croissance économique entre le CMC et le HCP est récurrente et ne date pas d'hier. Une kyrielle de chiffres Alors que l'année en cours tire à sa fin, l'on s'interroge sur le taux de croissance que l'économie nationale devrait afficher au titre de l'exercice 2010. En attendant les chiffres officiels, ceux du HCP en l'occurrence et qui ne seront dévoilés qu'à la fin du premier trimestre 2011, les prévisions initialement établis par les différents organismes, sont loin d'être totalement concordantes. Alors que le CMC tablait sur un taux de 3,2%, revu ensuite à la baisse à 2,8, le HCP maintient sa prévision de 4%, au même titre que la Direction de la prévision économique et financière (DEPF, relevant du département des Finances). Bank Al Maghrib, elle, s'attend à une croissance du PIB dans une fourchette de 3 à 4%. A cela s'ajoutent les pronostics d'autres organismes étrangers, comme la Banque mondiale ou le FMI, prévoyant une croissance économique de 3% pour le Maroc. Ainsi, les prévisions se suivent et ne se ressemblent pas, mais elles ont toutes de quoi dérouter le plus averti des observateurs et autres analystes. Inutile de rappeler, en effet, l'enjeu stratégique de l'information statistique dans l'élaboration des politiques publiques et des programmes socioéconomiques. Auprès des entreprises et autres investisseurs potentiels l'information statistique est un excellent outil d'aide à la décision. Bien qu'il ne s'agisse que des prévisions, donc susceptibles de révision ou de correction sur la base des observations au niveau des différents secteurs économiques, les estimations initiales renseignent en tout cas sur la tendance globale de notre économie. Une source au HCP nous confie d'ailleurs que le taux de croissance économique de 4% prévu en 2010 sera revu légèrement à la baisse. N'empêche, l'estimation du taux de croissance n'est qu'un exemple parmi d'autres illustrant le différentiel dans les prévisions des divers organismes. « L'idéal serait non pas que la prévision colle parfaitement à la réalité, mais de disposer d'outils et de méthodes d'évaluation de qualité et de modèles de calcul irréprochables », souligne un responsable au sein du HCP. Partant de ce constat, les prévisions les plus plausibles sont celles dont les marges d'erreur ne dépassent pas + ou – 0,5%. Si le CMC se targue de n'avoir jamais dépassé cette marge, le HCP estime que sa marge d'erreur est conforme aux normes internationales. «Comparé aux pays émergeants, et plus particulièrement aux payas arabes ou africains, on est les meilleurs », se réjouit une source au sein du HCP, avant d'ajouter que « ces marges d'erreur ne sont pas trop inquiétantes pour la conduite ou l'orientation des politiques socioéconomiques.» Flou artistique Face à cet imbroglio informationnel, l'idée de tenir des assises de la conjoncture économique, rassemblant les différents intervenants dans le domaine de la production et de la diffusion des données statistiques, trouve toute sa justification. «Ce qui nous manque ce sont surtout des réunions d'information et d'échange régulières pour mieux apprécier les points de vue des uns et des autres. Il nous faudrait sans exagération des mini assises nationales de la conjoncture économique », avait souligné Habib El Malki, président du CMC, dans une déclaration à la presse en début d'année. Si entre les acteurs publics, HCP, Direction de la prévision économique et financière ou encore la Banque centrale, les relations de coopération sont au beau fixe, entre le HCP et le CMC, relevant d'ailleurs de la sphère privée, la coordination a souvent fait défaut. Cependant, « toute proposition visant à améliorer le degré d'échange entre l'ensemble des acteurs concernés par la conjoncture économique serait la bienvenue. Encore faudrait-il cerner la portée politique de telle proposition », fait observer un cadre au HCP. Un avis que partage le gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, qui lors de la célébration de la journée mondiale de la statistique (Rabat, 20 octobre) avait appelé de ses vœux à une réflexion autour d'une stratégie nationale de développement de la statistique. « La mise en place d'un comité national d'information statistique, composé de tous les acteurs concernés et qui veillera à la définition de la stratégie nationale de la production et de la diffusion des statistiques, doit aboutir dans les meilleurs délais », avait souligné le wali de Bank Al Maghrib. Les équivoques autour des chiffres n'est pas uniquement une affaire maroco-marocaine. Elle est devenue un leitmotiv pour le HCP, qui à chaque publication du rapport du PNUD sur le développement humain monte au créneau pour dénoncer la pertinence du classement du royaume en matière d'IDH. Pour M. Lahlimi, le calcul de l'IDH n'est pas approprié pour mesurer efficacement le niveau de développement humain d'un pays. Il en veut pour preuve qu'un pays rentier disposant de gisement important d'hydrocarbure ou un autre pays ne disposant pas de données statistiques fiables (donc son rang serait simplement estimé) pourraient être mieux classés que le Maroc. Alors qui croire ! Said El Hadini (Le Temps)