Alors que les résultats semestriels affichent une santé éclatante des banques et des entreprises privées, l'Etat choisit la voie étonnante de l'endettement! Paradoxal, non ? Oui, ça nous coûte moins cher d'emprunter de l'argent à l'international. Oui, nos récents résultats économiques nous ouvrent les voies d'un endettement massif. Oui, notre note BBB, forgée par une demi-décennie de réformes massives, nous assure un taux d'intérêt de 4,5 %. Oui, notre notation nous place devant l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Irlande dans la catégorie : pays solvable. Eh oui, notre économie est solide. Pour autant, fallait-il l'alourdir d'1 milliard d'euros d'emprunt ? Etions-nous vraiment contraints de débloquer cette manne et, partant, de débourser un service de la dette ruineux sur les dix prochaines années ? Rien n'est moins sûr. Disons les choses clairement, devant les fondamentaux sains qu'affiche notre surface financière, le prêt d'un milliard claironné par notre ministre de l'Economie et des Finances comme une conquête du marché international de la dette, n'est autre qu'une mesure cosmétique. Pire, notre économie étant cyclique, car principalement tributaire d'une pluviométrie par nature erratique, elle peut se transformer en désastre dans les années à venir. Au Temps, il n'est rien moins insupportable que de jouer aux oiseaux de mauvais augure. Hélas, force est de constater qu'à l'inverse du bon sens, autrement dit, le respect d'une politique de désendettement en période de croissance économique, les argentiers du royaume nous plongent la tête la première dans un cycle qui n'a de résultante que l'asphyxie des comptes publics. Comparaison est parfois raison Quel diagnostic suppose-t-on au trésor public qu'il faille aller s'approvisionner en fonds auprès du marché financier international. Souffre-t-on d'un déficit public alarmant ? Que nenni ! Malgré une réelle difficulté à assainir les assiettes de prélèvements fiscaux, voire à en généraliser l'application au secteur informel, toujours dominant, le déficit stagne à 2.6 %. Négligeable. Quantité de pays de l'Union européenne se damneraient pour être à pareil niveau, eux qui peinent à respecter le pacte de stabilité de 3 % si cher à la BCE (Banque centrale européenne) . La France dont la dette publique pèse 80 % du PIB (Produit intérieur brut), n'a vraiment pas le choix avec un déficit de 8,4 %. L'emprunt a une réelle fonction, il permet de parer aux dépenses incompressibles de l'Etat sur fond d'effondrement des recettes. Dans ce contexte la dette, bien qu'au fond répréhensible, devient un passage obligé. En d'autres termes, on s'endette pour éviter de faire faillite, d'autant qu'à la veille d'une relance hypothétique le PIB, en recul sur les deux dernières années, n'est pas appelé à connaître de progression majeure. A peine 1,6 % selon les prévisions. Rien de cela chez nous. Nous vivons une année unique. Certes, le taux de croissance sera inférieur à celui de 2009 : 4,6 % contre 5,1 %. Mais ce taux en baisse cache une prodigieuse réalité pour le pays. Il semblerait qu'on s'émancipe d'une dépendance agricole historique. Parfaitement. C'est le non-agricole qui tracte la machine. Au troisième trimestre de l'année, la part de valeur ajoutée du non-agricole augmente de 5 % par rapport à 2009, alors que celle du secteur agricole dégringole de 7,2 %. Belle aubaine pour un pays d'essence agraire. C'est ainsi que la physionomie même de notre création de valeur établit une mutation salutaire, nous sortant d'un modèle de dépendance pluviométrique. Assurément, la nouvelle aurait dû être accueillie avec un optimisme béat. Au lieu de cela, on célèbre la nouvelle donne, en se livrant tout à trac à la volatilité des créanciers internationaux. Désopilant. Mais peut-être que le pays souffre de son secteur privé. Se pourrait-il que le milliard vienne parer au naufrage de nos entreprises ? Non, non et encore non. Jugez-en par vous-même. Au titre du premier semestre 2010, voici à quoi ressemble la profitabilité de quelques secteurs clefs de l'économie. Les assurances : + 17,5 % ; l'automobile qu'ont disait moribonde : + 62% ; l'informatique : + 14,5 %; les mines + 21 % ; la chimie : + 6,6 % ; et surtout l'immobilier condamné selon tous à un crash mémorable, justifie d'un comportement étonnant : + 17 %. Qui l'eut cru ? Utilisons une métaphore. Hicham décroche une promotion doublée d'une augmentation de salaire de 5 %. En rentrant chez lui, il annonce à son épouse qu'il compte débloquer un crédit monstrueux dont la finalité est incertaine, tandis que le coût, lui, est bien palpable. Imaginez la réaction de la pauvre femme devant l'irresponsabilité du mari, elle qui espérait tout au moins un petit voyage en plus par an, une épargne ou, avec un peu de chance, une nouvelle parure. Au lieu de cela, elle hérite d'une traite supplémentaire (sic). Il plane, depuis un an, comme un consensus tacite au sujet d'une supposée pénurie de liquidités dans notre pays. “L'économie, disent-ils, ne serait pas suffisamment irriguée en argent frais.” Les retombées de la crise internationale n'ayant pas affecté une dynamique galopante de la demande intérieure, il fallait désigner un problème. Le cash-flow. On entend alors tonner le gouverneur de la BAM au sujet d'une coagulation monétaire, tandis que nos avoirs extérieurs assurent plus de 6 mois d'importations, et que nos exportations industrielles explosent littéralement + 21 % en 2010 et que l'OCP (Office chérifien des phosphates), profitant d'un boom du cours des dérivés du phosphate, pulvérise les compteurs : + 79 % de chiffre d'affaires. Qu'en est-il des banques ? Les pauvres banques, depuis la promulgation des normes dites de Bâle III, lesquelles imposent un ratio de solvabilité de 7 %, celles-ci se répandent en larmoiements. “Plus d'épargne, se lamentent-elles, le coût du risque est hors contrôle, il faut constituer des provisions pour créances douteuses, l'économie flanche et nous avec”. Il fallait compter sans l'annonce des résultats semestrielles. Depuis, elles font la fine bouche. Et les chiffres donnent le tournis. Le secteur a cru de 3,2 %. Quelle horreur ! Pris individuellement, les revenus nets de nos fleurons bancaires frisent l'insolence. Voyez. Attijari Wafabank + 12 %, BMCE bank + 14 %, la BCP + 7 %, la BMCI + 5,4 %. Si le secteur bancaire offre un baromètre pertinent à la solidité d'une économie, se plaindre relèverait d'une mauvaise foi amère. Fortes d'un bon cru 2010, nos banques paradent. La BMCE bank annonce un investissement ostentatoire, Casa finance city, Attijawari fait de la conquête africaine un objectif réaliste, la BCP rachète la BP, etc. La banque, nerf de la guerre d'une économie bien portante, roule des mécaniques. L'incendie est étouffé. Depuis, on a remisé au placard les cris d'orfraie et l'alarmisme de la vierge aux abois en sevrage de cashflow. Questions pour un champion Que vient faire le milliard au milieu d'un faste pareil ? On se le demande. Un milliard d'euros, n'est-ce pas là ce que rapportera à peu près au trésor, et en devises s'il vous plaît, le rachat de 40 % des parts de Méditel par Orange, soit 650 millions d'euros en capital et 80 millions en compte courant, sans oublier les 400 millions d‘euros liés à la cession de 8 % d'IAM. S'adresser aux usuriers de l'emprunt, ceux-là même qui ont coulé la Grèce et l'Espagne en abaissant leur note de crédit, qui les ont acculés à des plans de rigueur monstrueux, gelant salaires et pensions, augmentant impôts et taxes sur plus de vingt ans, alors que les comptes publics s'alourdiront bientôt d'un milliard net de frais, d'un nectar pouvant à lui seul combler ce proverbial trou de la caisse de compensation dont on nous rabat constamment les oreilles, ( dû davantage du, soit dit en passant, à un vice de forecasting qu'à une fluctuation anormale des cours de pétrole et de blé tendre) mais aussi, l'alignement du pays avec les objectifs du millénaire. Il fallait oser… Et si en 2011, l'économie, aujourd'hui florissante, s'effondrait ? N'y a-t-on pas pensé ? Si l'agroalimentaire, privé de pluie, régresse et contamine le secondaire et le tertiaire par ricochet ? Si les recettes flanchent ? Qu'adviendra-t-il alors ? Pourra-t-on compter sur la clémence de HBSC, Morgan Stanley et autres créanciers pour maintenir notre notation ? Cela n'a pas été le cas de l'Irlande, aujourd'hui revenu à la case tiers-mondiste. Cela ne sera pas notre cas. Que se passera-t-il ? Un autre plan de reajustement structurel, celui-là même dont notre pays a souffert depuis plus de vingt ans? Repensera-t-on au MILLIARD avec autant d'idéalisme ? Il y a des chances que non. Tout porte à croire que l'on a emprunté parce qu'il était simplement possible de le faire. Une croissance de 5 % en moyenne sur les trois dernières années, cela vous enfle les chevilles. Comment prouver au monde que le Maroc, pays anciennement cahoteux, a rompu avec les faiblesses du passé ? Emprunter à un taux inférieur à celui l'Espagne, éternel frère-ennemi ? Faire une sortie triomphale sur les marchés internationaux, quitte à fragiliser nos comptes publics sur dix ans, quitte à braver l'incertitude d'un taux variable ? En l'absence d'arguments solides expliquant le pourquoi du prêt ainsi demandé et obtenu, l'hypothèse d'un geste ostentatoire n'est pas à exclure. Certes, le taux d'intérêt négocié nimbe le pays d'un halo de confiance peut être attirera-t-il quelques IDE (Investissements directs étrangers), peut-être fera-t-il avancer de quelques pouces les négociations Maroc-UE sur le statut avancé ? C'est à peu près tout ce qu'on est en droit d'espérer d'un endettement superflu. Pire, milliard injustifié deviendra un milliard gaspillé. En l'absence d'un bien-fondé pur au milliard ex-nihilo gageons d'un emploi d'apparat du genre : foires internationales, pavillons de représentations construits brique par brique à Shanghai, quelques mesurettes visant à promouvoir le tourisme dans la région Souss-Massa-Draa,, etc. Autrement dit, du décaissement VRP pour un milliard Photoshop. Jouons la bonne foi et supposons qu'il existe un vrai problème de liquidité dans notre pays, pourquoi ne fait-on pas tourner la planche à billets pour assurer la maîtrise des comptes publics. Le Maroc jouit d'une latitude régalienne quant à la manipulation de ses leviers macroéconomiques. Pas de contrainte communautaire, pas de pacte de stabilité, notre monnaie nous appartient, il n'incombe qu'à nous de faire les bons choix. Pourquoi ne joue-t-on pas l'inflation ? La nôtre est tellement réduite, 2 % selon la plus récente note du HCP (Haut commissariat au plan). Tout économiste, sans être émérite, sait que l'inflation à petite dose mange la dette. L'Etat voudrait-il grignoter les 47.5 % que pèse la dette dans le PIB, qu'il créerait juste assez de monnaie pour irriguer l'économie et amoindrir le service de la dette ? Avec une petite inflation de 4 % , la valeur de 100 DH dans dix ans serait réduite à environ 60, une hausse des prix conjugués à un accroissement du PIB ( 6 % en moyenne jusqu'en 2020, selon l'AMDI) grignoterait notre endettement, le compressant à moins de 20% du PIB. Mieux, beaucoup mieux encore, une inflation contenue, inciterait nos rentiers frileux à lutter contre l'érosion d'un capital dormant en le réinjectant dans l'économie réelle, la vraie, celle dont on repose pour créer de la richesse, du coup, le PIB en serait dopé. Elémentaire non ? Eh bien, il faut croire que non, hélas! Puisqu'il s'agit de se résoudre au choix sidérant du Milliard . Consolons-nous avec ce que l'on peut. Oui, car cet endettement subi aurait pu peser plus lourd. Sans grande surprise, les marchés étaient disposés à nous accorder pour deux milliards d'euros de prêt, Investment grade» oblige. Saluons le «conservatisme» du landerneau financier, lequel a gentiment décliné l'offre, optant finalement pour un petit milliard. Celui-là même dont nous, contribuables surendettés, essuieront éventuellement les plâtres. Merci ! Rada Dalil (Le Temps)