Le quotidien électronique marocain le plus lu, au ton peu amène, a-t-il été «récupéré» ? Voilà un portail web qui a bien résisté aux aléas du marché de l'Internet. Créé il y a plus de trois ans, le site Hespress.com est devenu au fil du temps un passage obligé pour beaucoup d'internautes marocains en quête d'informations, de scoops de tous genres. Pourtant, au départ, l'idée n'était pas prise au sérieux. Un certain Taha Hamdouchi de son pseudonyme, décide de lancer un site d'information alternatif. Le site est alors quotidiennement mis à jour et rassemble des bloggeurs marocains de partout dans le monde. Hespress doit sa notoriété à ses premières publications. «Les Marocains ont pris connaissance des émeutes de Sidi Ifni à travers Hespress» se souvient un collaborateur. Le nouveau «journalisme citoyen» symbolisé par le sniper de Targuist est également à l'honneur. Retournement de veste ? Hespress, qui voit son audience s'élargir, est devenu un espace libre, prisé pour des informations qu'on ne pouvait lire dans la presse écrite. Le portail s'ouvre aux chroniqueurs, et lance une rubrique d'humour appelée «Triguil» (moqueries). Son grand atout : le modèle économique du quotidien électronique. Selon ses collaborateurs, le journal paie ses journalistes et chroniqueurs grâce aux recettes de publicité. Mais l'équipe n'a pas souhaité communiquer sur les chiffres. Le site de benchmarking et de statistiques Ataraxa nous renseigne que 2 millions de pages de Hespress sont visitées par mois, et en l'occurrence, selon les tarifs à l'international, les recettes publicitaires mensuelles s'élèveraient à près de 12 000 dollars. Hespress est très bien référencé sur les moteurs de recherche. Mais en googlant le mot actuellement, on retrouve parmi les résultats plusieurs pages de campagne appelant à son boycott. La raison ? Hespress n'est plus ce qu'il était au début, du temps des scandales quotidiens, et de l'espace ouvert à toutes les opinions. En effet, plusieurs journalistes ont décidé de claquer la porte. Certains d'entre eux avancent que des relations avaient été nouées entre le site et les services de la DGED (Direction générale des études et de la documentation). Selon plusieurs sources concordantes, Taha Hamdouchi aurait «cédé le site à des proches de ce service». Prix estimé de la transaction : 3 millions de dirhams. Le chiffre correspond à son évaluation par les moteurs de statistiques web. «Depuis, les commentaires à contre-courant ne sont plus les bienvenus. Les administrateurs du site web enlèvent tout commentaire qui déplaît aux véritables propriétaires» remarque un ex-reporter électronique de Hespress. Un nouveau disclaimer est désormais présenté à l'internaute avant de publier un article ou d'en commenter un. Celui-ci est jugé bien plus contraignant et restrictif qu'avant, estime-t-on. Le site continue néanmoins d'attirer un grand lectorat en quête de sensationnalisme. En la matière, il leur offre une large panoplie de propagande populiste, tels les discours homophobes, sexistes, et les attaques personnelles. Quatre ans après sa création, l'expérience Hespress reste avant-gardiste, mais elle a fini par être «récupérée». «La main basse des autorités montre combien l'expression libre sur Internet peut être importante» commente un journaliste qui fait d'Internet un moyen favori d'expression. «C'est le dernier bastion de la liberté d'expression après qu'on ait fait le ménage dans la presse écrite». D'autres referont-ils l'aventure ? Saâd Kadiri