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Jésus en terre marocaine
Publié dans Le temps le 04 - 01 - 2010

Contrainte à une existence sectaire, la communauté chrétienne bourgeonnante interpelle l'Etat sur le droit à la liberté de culte.
Peut-on communiquer sa foi au Maroc lorsqu'on est chrétien? Si le prosélytisme est interdit par l'article 220 du Code pénal (qui prévoit 6 mois à 3 ans d'emprisonnement pour toute personne le pratiquant), les autorités semblent gênées face au phénomène et préfèrent appliquer des sanctions plus expéditives. Vendredi 4 décembre, 17 personnes ont été interpellées dans une demeure de la station balnéaire de Saïdia, dans le nord-est du pays, pour avoir participé à une «réunion publique non déclarée, conformément à la réglementation en vigueur, qui s'inscrit dans le cadre d'une action visant à propager le credo évangéliste et à recruter des adeptes au sein des nationaux», précise un communiqué du ministère de l'Intérieur, daté du même jour. Au total, douze Marocains, deux Sud-africains, un Guatémaltèque et deux Suisses sont appréhendés et interrogés par les forces de l'ordre. Accusés de «porter atteinte aux valeurs religieuses du royaume» par le ministère de l'Intérieur, les deux Suisses et le Guatémaltèque ont été expulsés via le poste frontalier de Melilia, et les deux Sud-africains, qui étaient déjà en possession de leurs billets d'avion, ont été conduits à l'aéroport de Casablanca. Quant aux Marocains, ils ont été remis en liberté le jour-même. Quelques bibles ou supports audio à contenu chrétien ont suffit pour attester des faits qui leur sont reprochés. Les perquisitions, réalisées sur les lieux de l'interpellation, ont notamment permis la saisie de livres et de CD à contenu chrétien en langue arabe, considérés comme des pièces à conviction.
La dernière interpellation de ce genre date du 29 mars 2009, lorsque quatre ressortissantes espagnoles et une allemande ont été expulsées par les autorités marocaines pour prosélytisme. Un communiqué du ministère de l'Intérieur, daté du 30 mars, indiquait que «cinq missionnaires venus de l'étranger tenaient une réunion de prosélytisme avec des ressortissants marocains». En réalité, il s'agissait d'une réunion de prédication dans un domicile privé, réunissant 16 personnes de nationalités marocaine et irakienne, en compagnie des cinq missionnaires expulsés. L'article 6 de la Constitution marocaine stipule que «l'Islam est la religion de l'Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes», en d'autres termes, l'écrasante majorité des Marocains est musulmane, mais les autres religions monothéistes sont admises.
Eglises libres
Dans les faits, si la loi ne réprime pas les convertis, elle ne leur donne tout simplement pas les moyens juridiques d'exister en tant que tels. Lorsqu'il n'est pas de confession juive, un citoyen marocain est en effet considéré comme musulman par défaut.
Les réunions de ce type sont très fréquentes au Maroc. Il s'agit simplement de maisons où les convertis se réunissent clandestinement pour prier. Ils portent des prénoms arabo-musulmans, et pourtant, ils célèbrent discrètement l'office protestant, au grand dam des conservateurs et sous l'œil suspicieux de la police. Ils vivent un christianisme aux couleurs locales : chants, lectures et commentaires de la Bible, projection de films chrétiens… Le tout en langue arabe ou amazighe. En somme, ce qui est décrit comme des séances orchestrées d'un prosélytisme redoutable n'est bien souvent qu'un groupe de disciples de Jésus qui se retrouvent pour communiquer et exercer leur liberté de culte, théoriquement garantie par la constitution. Ces «églises libres» prolifèrent un peu partout au Maroc. Il en existe 9 à Marrakech, 11 à Casablanca, quelques unes à Rabat, une à Lâayoune, et d'autres disséminées à travers le pays. Contraints à l'existence sectaire, les chrétiens du Maroc font preuve d'une grande cohésion communautaire. Lorsqu'ils sont en confiance, ils s'enquièrent des nouvelles des convertis des autres villes, échangent les noms de famille et les numéros de téléphone. Chaque nouvelle conversion est l'objet du plus grand soin de la part des anciens.
Mais le phénomène pose la problématique de la limite entre le prosélytisme et le simple fait de partager sa foi. D'ailleurs, l'arrestation des ressortissants suisses a soulevé de nombreuses interrogations du côté helvétique sur le protectionnisme religieux de Rabat. Le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a indiqué qu'il avait pris connaissance des faits, mais n'a pas commenté les motifs qui ont amené les autorités marocaines à raccompagner le couple à la frontière. Il s'agit d'un ingénieur neuchâtelois et de son épouse physiothérapeute, et de leurs trois enfants scolarisés dans des établissements marocains. Les deux sont des travailleurs humanitaires employés par Consulting training and support (CTS), une ONG basée en Suisse et présente au Maroc depuis 2002.
Il reste difficile de quantifier avec précision la présence de missionnaires étrangers au Maroc, et ce en raison du caractère clandestin de leur activité. Cela dit, une note des Renseignements généraux, datée de mai 2005, estimait leur nombre à 800 et spécifiait qu'il avait doublé depuis 2002. Ces missionnaires exercent sous diverses «couvertures» : médecins, infirmiers, travailleurs humanitaires, enseignants, ingénieurs ou encore entrepreneurs.
Mouvance des croyances
Selon la World Christian Database, un centre d'étude du christianisme dans le monde, il s'agirait de la religion dont le taux de croissance est le plus élevé au Maroc. L'organisme avance le chiffre de 2.000 à 2.500 nouvelles conversions en 2005. D'autres chiffres plus élevés circulent, mais ils restent difficiles à vérifier. Au Maroc, une multitude d'organisations évangéliques, surtout américaines, opère plus ou moins secrètement dans les régions déshéritées, ainsi que dans les grandes villes. Une organisation comme Arab world ministries, société missionnaire internationale, a pour objectif officiel «l'annonce de la Bonne Nouvelle d'un Sauveur aux musulmans du monde arabe». En 2005, la «Caravane de l'amitié», organisée à Marrakech en coopération avec l'ambassade américaine, a été qualifiée par la presse marocaine de «Festival œcuménique déguisé». L'événement accueillait entre autres le révérend Richard Cizik, président des Affaires gouvernementales de la National association of evangelicals. Par ailleurs, la visite du télévangéliste américain Josh McDowell la même année a éveillé les soupçons quant à une éventuelle rencontre avec les missionnaires en activité dans le pays. Au Maroc, cette offensive messianique intervient dans un champ religieux de prime abord très homogène (une grande majorité musulmane sunnite de rite malékite et une petite minorité israélite). En réalité, la mosaïque des croyances est plus diversifiée qu'elle ne le semble. En effet, la créativité religieuse a accompagné chacune des étapes historiques du pays : inculturation des monothéismes, emprunts mutuels, syncrétismes entre croyances magico-religieuses et islam, synthèses afro-musulmanes et soufisme des zaouias. A cela s'ajoutent de nouvelles religions qui ont fait leur percée lors de ces dernières décennies (bahaïsme, différentes sectes de l'islamisme radical, ainsi que le chiisme qui affiche un dynamisme certain depuis que la chaîne Al Manar a fait son apparition sur les écrans, et notamment depuis le regain de popularité du Hezbollah). Si les chiites ont fait l'objet d'un matraquage sécuritaire suite à l'assombrissement des relations maroco-iraniennes, l'attitude des autorités se fait plus ambiguë lorsqu'il s'agit de ressortissants américains ou européens. Face à ces religieux qui dérangent, l'Etat préfère substituer une procédure d'expulsion, à la limite de la légalité, aux dispositions de l'article 220.
Une foi clandestine
Les églises officielles, quant à elles, s'interdisent strictement le prosélytisme. Activité réprimée par la loi, elle est l'apanage d'un réseau clandestin. Celles qui sont présentes dans le pays, majoritairement catholiques, ont pour unique mission l'animation de la vie spirituelle des fidèles qui y vivent, le discours officiel veut qu'ils soient tous étrangers. Même l'église protestante du Maroc (centenaire en 2008) ne s'aventure pas à faire du prosélytisme dans un contexte religieux, social et juridique très hostile à la prédication d'une autre foi que l'islam. Aussi, le protestantisme marocain, se retrouve entre deux positions : d'un côté, l'Eglise évangélique avec son statut officiel, et de l'autre, la position des missionnaires évangéliques, plus sectaires. Les églises officielles tiennent à marquer leur distance avec ces pasteurs de l'ombre. A chaque incident, leurs représentants regrettent les «actions souterraines» menées par les «fondamentalistes chrétiens» et précisent qu'il ne faut surtout pas faire d'amalgame. L'Eglise évangélique du Maroc a même envisagé de changer de nom pour éviter toute assimilation aux prosélytes.
Toutefois, tout en veillant à souligner leur distance avec le phénomène d'évangélisation que connaît le pays, certains représentants des églises officielles du Maroc avouent qu'ils vivent assez douloureusement le fait de ne pas pouvoir tendre la main à ces nouveaux chrétiens. Lors d'une visite au Maroc, le président de la Fédération des églises protestantes de France, a lancé un ballon d'essai : «Pourquoi ne pas créer au Maroc un Conseil du culte chrétien à l'instar du conseil du culte musulman en France ?». Aujourd'hui encore, le Maroc semble moins disposé que son voisin algérien à laisser émerger des espaces «ouverts» destinés à l'accueil de cette nouvelle communauté religieuse, que le discours officiel préfère cantonner à la marginalité. Condamnation et anathème sont les mots d'ordre vis-à-vis des convertis, lorsque l'existence-même en est admise. Le postulat le plus récurrent est que les évangélistes investissent le terrain de l'humanitaire et choisissent leurs cibles parmi les personnes les plus démunies.
Dans les faits, cette affirmation est loin d'être une règle, car les évangéliques investissent également le terrain de l'intellect et proposent un discours qui répond aux attentes spirituelles et intellectuelles des classes socioculturelles les plus élevées, qui sont souvent les plus aisées. Au Maroc, où les églises officielles entreprennent des œuvres caritatives, le ministre des Habous et des Affaires islamiques s'est exprimé sur la question devant le Parlement pour écarter tout impact sur la foi musulmane : «Les pauvres de ce pays ne sauraient abandonner leur confession en raison du besoin», a-t-il déclaré, considérant que les actions caritatives initiées par les Chrétiens ne portent pas nécessairement atteinte à la religion musulmane, dans la mesure où ces initiatives de bienfaisance sont ancrées dans les pratiques de l'Eglise.
Prosélytisme de masse
Si le fait missionnaire au Maroc date de plusieurs décennies, la scène religieuse se caractérise aujourd'hui par la présence des médias d'évangélisation. Ceux-ci permettent un prosélytisme de masse, à caractère insaisissable. En effet, les structures religieuses ayant perdu leur étanchéité, la possibilité est désormais donnée de vivre son propre univers religieux à travers les écrans de télévision plutôt qu'à travers une insertion concrète dans un cadre donné. Grâce à cette vision nouvelle, le converti possède les outils qui lui permettent de sortir de son milieu culturel et religieux jusque-là incontesté. Il s'agit-là d'un «believing without belonging». Par ailleurs, ces médias invalident la thèse de l'altérité du Chrétien en présentant à leurs cibles un contenu sur mesure, émanant de personnes issues des mêmes schémas sociaux et identitaires. Contre ce phénomène universel de mobilité des croyances, les voix les plus conservatrices de la société proposent l'élaboration d'une «politique de prévention» contre l'évangélisation, à savoir une refonte des programmes scolaires afin de «renforcer le sentiment patriotique à travers les valeurs de l'arabité et de l'islam», comme le suggère le parti de l'Istiqlal. Sur ce point, le parti d'Allal El Fassi ne diffère pas trop des islamistes du PJD, qui demandent au gouvernement de «soutenir les associations marocaines qui œuvrent à la propagation de l'Islam, ainsi que les imams, et les groupes d'études du Coran. L'Etat ne pouvant à lui seul faire face à ces tentatives de prosélytisme, a besoin du soutien de la société civile pour surveiller ces activités». A l'instar de ce qui se passe dans le reste du monde, la société marocaine n'échappe pas au phénomène de la mondialisation des croyances. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la gestion de ce fait religieux d'autant plus inédit que le pays n'a officiellement plus abrité de communauté chrétienne autochtone depuis l'époque romaine.
La rédaction


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