Marocains chrétiens C'est l'été, la saison idéale des mariages. Sur la corniche casablancaise, on voit défiler les cortèges de voitures qui klaxonnent pour manifester la joie que suscite une nouvelle union. Mais ce qu'on ne voit pas, ce sont ces autres cérémonies, celles de Marocains aussi, mais qui n'ont pas la même manière de célébrer leurs noces… Qu'y a-t-il de plus important dans la vie d'un homme ou d'une femme au-delà des traditionnelles questions existentielles du genre : qui suis-je, où vais-je ? Certainement des dates butoirs, celles qui structurent une vie et projettent vers l'avenir. Dates de mariage, de baptême, de naissance d'un enfant. Dates inoubliables où l'on franchit des pas décisifs empreints de nouvelles responsabilités et orientés vers l'espérance d'avoir fait les bons choix. Mais peut-on toujours réellement faire des choix ? Peut-on être Marocain sans être forcément Musulman et le vivre pleinement ? Même si tout le monde s'accorde à dire que la relation avec Dieu est avant tout individuelle et intime, et que le choix d'une religion se fait au rythme de réflexions approfondies et de recherches personnelles, on peut dire aujourd'hui qu'au Maroc, ce choix primordial et qui détermine le chemin de vie de chacun ne peut pas se faire sans risque. Être Chrétien, vivre, en Chrétien, se marier en Chrétien, relèvent d'une endurance continue au cours de laquelle garder son souffle est un véritable défi. En effet, le choix d'une religion suppose une certaine liberté de culte et le respect des règles qu'elle implique. Par ailleurs, la liberté de conscience est un principe fondamental de la déclaration des droits de l'Homme, ratifiée par le Maroc. Le code pénal suppose le libre exercice des cultes et ne prévoit pas de sanction à l'encontre d'un Marocain qui se convertit à une autre religion. Seul le prosélytisme est jugé condamnable (art 220 du code pénal). Et pourtant! La peur d'être jugé est omniprésente parce que la répression est ailleurs, plus insidieuse, plus sournoise, émanant des plus proches, parfois de la famille, des amis, des voisins. Et la peine n'en est que plus grande. Dans un article paru au "Monde " intitulé " Nouveaux chrétiens au Maghreb ", Catherine Simon livre le témoignage d'un jeune Marocain converti : Yacine fréquente une "église maison". Son groupe est "100 % arabophone" et se réunit chaque dimanche, discrètement, chez l'un ou chez l'autre de ses membres, pour des lectures bibliques et des séances de prière. "On n'est jamais plus de dix ou quinze : la capacité d'un salon", explique-t-il. Si les Chrétiens marocains se cachent, "ce n'est pas tant, dit-il, du fait de persécutions de la police. On ne représente pas un danger pour le régime. Mais la stigmatisation sociale reste forte : la famille, l'employeur, les collègues, les voisins sont plus tyranniques que le gouvernement !". Ce sont d'ailleurs ces familles, collègues, voisins qui seraient à même de participer à un mariage par leur présence et leur approbation. Le jour de son mariage est censé être le plus beau jour d'une vie. Un jour de fête et d'allégresse où l'on décide d'unir sa vie à un autre être devant Dieu et devant les hommes. Il fait partie des jours événement d'une vie. Qu'en est-il quand il s'agit de deux Marocains chrétiens ? La majorité des Marocains convertis au Christianisme sont Protestants. Le pasteur Jean-Luc Blanc, représentant de l'Eglise évangélique au Maroc (ex-Eglise réformée de France au Maroc) explique à propos du mariage : "les Protestants bénissent une union après un mariage civil. Le mariage est d'abord une affaire de la société, une affaire civile. La dimension spirituelle de l'union est cette bénédiction ". Autrement dit et à partir du moment où le mariage civil n'existe pas au Maroc, un mariage chrétien protestant entre Marocains relève de l'impossible. La contradiction est claire: le mariage marocain est d'abord un mariage musulman contracté par des Adouls. Comment alors deux marocains convertis au christianisme pourraient, en leur âme et conscience et en accord avec leurs convictions, contracter un mariage musulman avec tout ce qu'il sous-entend comme règles et contraintes et en même temps faire bénir ce mariage par un pasteur protestant ? Les Juifs marocains bénéficient d'un statut particulier. Le statut personnel des Marocains juifs est déterminé par la règle religieuse israélite. Leur contrat de mariage, la ketouba est béni par un rabbin dans une synagogue et reconnu par l'Etat marocain. La Constitution n'exclut pas l'existence d'autres religions et cette tolérance légendaire du Royaume du Maroc s'arrête pourtant là où commence la chrétienneté des Marocains. Les Marocains chrétiens ne sont pas nombreux. Les chiffres sont approximatifs car comment recenser une communauté qui n'est pas censée exister ? Certains déclarent qu'il y en a huit cents d'autres, plus. Toujours est-il qu'ils ne sont qu'une partie infime de la population marocaine. Pourquoi ne bénéficieraient-ils pas alors d'un statut particulier qui leur permette de vivre en accord avec leur foi et leurs règles de vie dans la mesure où ils ne portent pas atteinte et respectent celles des Musulmans? Le Maroc moderne, citoyen et respectueux des droits de l'Homme est en bonne voie. Dans le dernier discours du Roi, il est question enfin de la nationalité marocaine pour les enfants nés de couple mixte. La Moudawana a été changée au profit des droits des femmes et des citoyens. Pour Jean-Luc Blanc : "il y a eu plusieurs acquis et la situation évolue de manière constructive pour les couples mixtes". Des travaux organisés par Le GRIC (groupe de recherche islamo-chrétien) sur la question du mariage sont en cours et seront exposés lors d'un colloque le 27 août courant à Rabat. Des intellectuels musulmans du monde arabe et des Chrétiens y seront présents ainsi qu'une délégation du gouvernement. Il y a une réelle volonté de faire avancer les choses dans la paix et l'harmonie. Le respect des droits de l'homme auquel le Maroc adhère passe aussi par donner la possibilité à l'ensemble des croyants quelle que soit leur religion de vivre pleinement leur foi. Qu'en pensent les Marocains chrétiens ? Pour Karima, trente ans, "la conversion est une démarche personnelle certes, mais il est difficile de la vivre dans un milieu hostile. Quand on découvre une nouvelle voie, on a envie de passer d'une démarche personnelle à une vie communautaire. Se retrouver avec des personnes qui ont opéré les mêmes choix et partager avec elles sa foi et ses règles de vie. Le mariage est une union sacrée. C'est fondamental de pouvoir le célébrer selon ses convictions". Karima poursuit en expliquant : " nous ne faisons de mal à personne et ne cherchons à convaincre personne ni à convertir qui que ce soit. Le choix est déjà assez difficile en soi. Tout ce que j'aimerais, c'est vivre tranquillement et sans heurts dans le respect des autres et réciproquement ". Fatiha s'est mariée en France avec un Marocain chrétien. Ils ont contracté un mariage civil et l'ont fait bénir par un pasteur au Maroc. La cérémonie a eu lieu dans un appartement à l'abri des regards indiscrets. "Je tenais à ce que notre union soit bénie chez nous, au Maroc, et en présence de nos familles qui heureusement ont accepté ce principe". Omar est Chrétien depuis trente-cinq ans. Toute sa famille l'est aussi, sa femme et ses enfants. Pour lui : " même si le mariage chrétien obéit à des règles, il faut aussi savoir respecter l'autorité du pays où l'on se trouve et se soumettre à ses règles. C'est pourquoi, j'ai marié mes enfants en respectant les lois juridiques d'ici, puis ai fait bénir leurs mariages par un pasteur ". Omar est pour la paix et la liberté de conscience. " Je n'ai jamais obligé mes enfants à se convertir. Ils ont été dans des écoles publiques dans lesquelles ils ont appris les préceptes de l'Islam. À la maison quand ils me voyaient lire la bible, ils s'y intéressaient aussi. Ce sont eux qui ont fait leur choix. Ils sont devenus Chrétiens par conviction et se sont mariés avec des Chrétiens parce que telle était leur volonté ". À travers l'ensemble des témoignages, on remarque une volonté réelle de respecter les autres, mais aussi un désir d'être respecté dans son choix. D'après un article de la revue Prologue intitulé : “Le couple mixte au Maghreb, une situation révélatrice ?” écrit par des membres du GRIC de Rabat : “Le christianisme à ses débuts, tout comme l'Islam alors que la communauté est en train de se constituer, ont été marqués par cette notion : dès qu'une religion se structure, apparaissent les notions de pureté et d'impureté. Les textes mettent en garde contre la fréquentation des autres, ceux “du dehors”. Au fil des siècles, seul le travail des théologiens, qui se voient confrontés à des transformations radicales des systèmes de pensées, a permis de sortir de ce mécanisme. La foi n'est qu'un point de vue d'un savoir auto-référentiel, pas un savoir critique. Une conviction religieuse peut être respectée et même protégée en vertu du principe de la liberté d'opinion, mais elle sera considérée de plus en plus comme appartenant au domaine privé.” . N'y aurait-il pas aujourd'hui place en islam pour une approche théologique novatrice, prenant en compte les acquis des sciences humaines dans l'examen des textes, en vue de mettre fin aux discriminations et accepter dans la pratique la liberté de conscience ? Mais n'est-ce pas le devoir de chacun de s'interroger en tant que croyant sur la situation de minoritaire dans un contexte majoritairement musulman ?