Hobby pour les uns, un métier pour les autres, le Texas hold'em a envahi le Maroc. Et ce n'est pas fini… Check, blinde, flop, call, babies… Le catalogue d'expressions est devenu familier chez une certaine jeunesse marocaine, parfois transposé dans le langage de tous les jours. Et si ces anglicismes ne vous disent rien, c'est que vous êtes probablement un ermite reclus dans un donjon, sans amis, sans poste télé ni connexion Internet. Car le Poker, puisque c'est de ce jeu qu'il s'agit, est aujourd'hui partout. Dans les fêtes mondaines comme dans les soirées entre copains, chez les branchés comme chez les jeunes de «bonne famille», dans les émissions télé comme sur Facebook… Bref, impossible d'échapper à la Pokermania, qui a tout balayé sur son passage. Oubliée la sage «ronda», trop ringarde. Terrassée le «touti», jeu de cartes old-school désormais réservé aux sexagénaires. Même le sacro-saint PES sur Playstation a trouvé un adversaire à sa mesure… «On a pris l'habitude de se retrouver entre copains, chaque vendredi soir, pour une partie de Poker, explique Hassan, jeune banquier casablancais. C'est amusant, et on peut même se faire accompagner de sa copine ou de sa femme». L'engouement en masse pour le jeu de cartes américain est relativement récent parmi les Marocains. Il date précisément des trois dernières années. Et il a eu pour catalyseur la diffusion du Texas Hold'em, variante relativement plus simple et, surtout, bien plus rapide, du Poker. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si elle est aujourd'hui la plus pratiquée dans le monde. Vu à la télé ! La médiatisation du jeu n'est pas non plus étrangère à cette popularité. On ne compte plus les émissions télé retransmettant des tournois de Poker, à grand renfort de stars et de people. L'icône des tapis verts ne s'appelle plus Omar Sharif, mais «Patriiiiick» Bruel. Pareil sur l'autre écran, celui des PC. Le Poker a envahi la Toile, noyautant le Web 2.0 et sa floppée de sites communautaires. On ne compte plus le nombre de Facebookers ayant succombé à la fièvre des cartes virtuels. «On n'y gagne peut-être pas d'argent, mais les sensations sont là, confie Youssef, gamer virtuel invétéré. Et c'est quand même plus intelligent que de s'amuser à commenter des statuts…». En un mot comme en mille, le Poker est devenu «hype», une sorte de «must have» des loisirs qu'il est bien vu de pratiquer. D'autant que la «dépense en équipements» n'a rien de dispensieux : quelques centaines de dirhams et une table suffisent pour transformer son salon en «saloon». Un jeu de cartes, un kit de jetons, un tapis vert… et le tour est joué ! Les amateurs… et les autres Mais le peuple du Poker n'est pas fait que de post-ados en quête de sensations, prêts à «flamber» quelques centaines de dirhams autour d'une table enfumée. Il y a aussi les «gamblers» hardcore, les pokeristes purs et durs. Eux n'ont pas attendu les célebrités et l'effet de mode pour s'enticher des cartes et des jetons. Et là, on boxe dans une autre catégorie : la grille d'âge évolue à la hausse, les mises se chiffrent en milliers de dirhams et l'ambiance des parties n'a plus rien à voir avec le Monopoly entre copains. «On se croirait dans un film : la même atmosphère lourde, les mêmes regards sombres, la même gestuelle calculée… Il ne manque que la musique angoissante», s'amuse Farid, un habitué des soirées privées, où les pokéristes sont sélectionnés et choisis sur invitation. «L'objectif est de se retrouver entre joueurs de même niveau, mais aussi d'éviter les personnes non solvables et les mauvaises surprises qui vont avec», poursuit-il. Parmi les concurrents figurent de nombreux amateurs, nouvellement convertis aux subtilités du Poker, mais aussi des joueurs aguerris, des vieux routiers de la quinte flush. Certains d'entre eux ont fait du jeu de cartes un véritable métier, attirés par les gains faramineux que peuvent générer ces parties privées. Et plus l'assitance est sélecte, plus le compteur s'affole. Un marché pour les casinos Pour dénicher des tables plus «ouvertes», c'est vers les casinos qu'il faut se diriger. Celui de Marrakech Es-Saadi reste jusqu'à aujourd'hui le mieux achalandé, car plus proche des plus importants réservoirs de joueurs que sont Casablanca et Rabat. Mais les autres établissements, à Agadir ou Tanger, tirent également leur épingle du jeu, surtout depuis que le Poker est devenu un hobby mainstream. La clientèle des gros joueurs n'est pas non plus oubliée : les casinos organisent régulièrement des tournois, où le montant de la cagnotte compte facilement six zéros. Les aficionados trépignent d'impatience à la veille de l'ouverture du Casino Mazagan (le 15 octobre), véritable paradis des joueurs : 415 machines à sous, 50 tables, ainsi qu'une salle de jeu privée. Surtout, ils s'attendent à ce que l'établissement d'El Jadida leur concocte un de ces tournois de haut vol dont les casinos du groupe Kerzner ont le secret. Au menu, des dotations stratosphériques, des champions internationaux, mais aussi des célebrités et des people. «Je m'imagine déjà entre de taper le carton avec Brad Pitt ou David Beckham», lance Farid, avec une petite étincelle dans les yeux… Hicham Smyej