Trois talents et deux langues : tels sont les atouts du discret Saïd Benjelloun. Deux recueils de poèmes ont paru aux éditions Réciproques, à Montauban. Ce fut d'abord, en 2006 «Double voix» dont le titre s'imposait d'autant mieux que notre poète écrit en arabe et en français. Il est d'ailleurs l'auteur d'un manuel d'arabe marocain publié par l'Université de Tilburg au Pays-Bas. Cet ouvrage pédagogique de grande utilité pour les enfants et adolescents d'origine marocaine nés en Europe a paru simultanément en anglais, en français, en espagnol, en allemand et en néerlandais. Il s'intitule «Lougha diali». En fait, ce sont deux volumes de textes accompagnés de deux cassettes et destinés aux collèges et aux lycées. La demande d'apprentissage linguistique et culturel augmente de la part des enfants d'origine maghrébine nés en Europe de parents qui, souvent, désormais, sont eux-mêmes des citoyens natifs du Vieux continent. Le fait que cet enseignement ait été conçu par un poète ne manque pas d'inviter à découvrir ses vers. Bien qu'il soit enseignant d'arabe (dialectal et littéral) à l'Université Toulouse Le Mirail, c'est au Marché de la poésie qui se tient chaque année à la mi-juin place Saint-Sulpice à Paris que j'ai vu Saïd Benjelloun à l'œuvre en tant que calligraphe. Le Marché de la poésie est une manifestation bon enfant et aussi l'une des plus efficaces au service des éditeurs de poésie. On y croise des poètes français et étrangers, pas tous maudits, certes, mais presque tous astreints en dehors de cette manifestation annuelle à une sorte de clandestinité comme s'ils étaient les pratiquants d'un culte devenu obsolète. La calligraphie possède un grand pouvoir de séduction, si bien qu'il y avait du monde autour de la table où Saïd Benjelloun exerçait son art, l'air de rien et cependant, l'air de quelqu'un qui va faire voler des oiseaux dans un ciel en papier. Il est vrai que lorsque l'on s'appelle Benjelloun et que l'on est poète, comme l'est depuis plus de quarante ans le célèbre Tahar, il vaut mieux être aussi calligraphe. C'est ainsi que, sous un ciel tristounet, des arabesques folâtraient et, à coup de calame, notre poète incitait à rêver puis faisait de telle sorte que le rêve semblait se matérialiser. Dès lors, plus question de songer à la notoriété de son homonyme, le poète-calligraphe n'avait pas son égal alentour. Ouvrons donc son recueil intitulé «Double voix» et songeons au fait que l'inspiration lui vint à la faveur d'un voyage au Yémen : «C'était un grand moment pour moi, en 1996, mes retrouvailles avec le monde arabe. J'avais quitté le Maroc en 1989. Soudain, au Yémen, des mots s'imposèrent à moi». En arabe et en français. Saïd Benjelloun ne puise pas dans un océan de mots. Il cisèle plutôt le silence qui convient entre chaque mot détecté, choisi, pensé. Dès lors, il n'y a plus grande différence entre les textes et la calligraphie. Qu'a-t-il rapporté pour nous du Yémen ? Ceci : «Au pays du rêve/ et des dunes / une muse / prit la plume / pour broder / sous son voile / de brume / la mer / les étoiles / les rêves / d'enfant». Saïd a le sens des formules qui élucident. L'horizon du langage accueille ainsi les effets, plus vastes que prévu, de la clarté faite. On aime par exemple ceci dans «Double voix» : «Aden / l'étranger / et toutes ces femmes / qui ont bu / le noir / de leurs nuits / pour accueillir / le jour / en rêvant d'amour». Le rapport de ce poète d'expression bilingue à la langue arabe est aussi intime que son usage de la langue française. Ses poèmes ne sont pas traduits par lui d'une langue à l'autre mais des produits différents nés du même substrat d'émotion et d'expérience et qui se retrouvent dans un même ouvrage. Il reste donc à espérer que la Bibliothèque nationale du Maroc enrichira bientôt son catalogue de «Double voix» et Là-bas ( Hounaka), ce dernier recueil où Saïd Benjelloun écrit : «Le passé / ne connaît / de regret / Le présent / se charge / de souvenir / et le rêve / d'avenir».