Vous êtes ici : Actualités / A La Une / Printemps arabe et transition démocratique Dans l'interprétation du printemps arabe, les analyse en termes de démocratisation demeurent paralysées par l'hétérogénéité des situations révolutionnaires. Il importe de ne pas porter un jugement univoque sur le vent de changement qui souffle sur le monde arabe. Même si l'espace arabe de pouvoir témoigne d'une même structure autoritaire axée pour l'essentiel sur la relation au prince, les spécificités nationales ne doivent pas être aplaties au profit d'une interprétation trop globalisante qui voit dans ce printemps arabe le produit d'une vague unifiée. A cela il faut ajouter que le problème posé par l'étude de l'autoritarisme arabe est enfermé dans la spécificité orientaliste. Il en résulte que le recours à l'Islam pour spécifier un type de régime serait symptomatique des errements des recherches sur le monde arabe. Ce dernier est souvent étudié dans une perspective comparative faite au prisme de clichés et de préjugés. L'approche comparative insiste sur l'irréductibilité du monde arabe, c'est-à-dire la difficulté à le mettre en relation avec d'autres contextes en raison de la particularité culturelle supposée des régimes politiques qui y sont observables et à l'aide de cadres d'analyses plaqués sans adaptation sur les terrains arabo-islamiques. C'est pourquoi au lieu de se laisser prendre au piège de cette simplicité apparente, il faut parvenir progressivement à sa définition à partir d'une analyse détaillée de chaque configuration institutionnelle. Autrement dit, l'histoire politique arabe n'enfante pas toujours des régimes similaires. L'espace arabe de pouvoir ne peut se mesurer qu'à l'aune de l'architecture politico-institutionnelle des régimes en place, là même où s'institutionnalisent les particularismes. Nos préventions à l'égard du culturalisme s'expliquent par la nécessité de rompre avec des spéculations macrosociologiques sur le monde arabe qui n'aboutissent qu'à une explication très approximative. Ainsi la situation égyptienne témoigne de la prégnance de la particularité locale. L'intervention de l'armée égyptienne, qui joue toujours un rôle politique et économique importants, a marqué un tournant dans le processus démocratique égyptien. La destitution du président Morsi affirme le rôle politique de l'armée en tant qu'institution singulière dans le système politico-étatique qui se positionne comme «l'incarnation de la volonté nationale» et «la mesure de toute chose» pour employer le langage nietzschéen. La leçon de l'expérience algérienne montre aussi que cette «logique militaire» sous-tend le fonctionnement interne du régime politique algérien. L'armée algérienne est intimement liée au pouvoir politique sur lequel elle exerce une tutelle via les institutions politiques. En s'interrogeant sur le rôle politique de l'armée égyptienne dans la transition politique, on constate elle n'est pas un acteur opaque. Au contraire. A la différence de l'armée tunisienne qui a joué un rôle politique discret lors de la transition, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a pris le pouvoir après que le président Moubarak a été obligé de démissionner. Cela veut dire que l'intervention de l'armée égyptienne dans la vie politique traduit son intention de surveiller le jeu politique. Il en résulte que le processus de changement politico-institutionnel égyptien se trouve puissamment contrôlé et même contraint par le poids de l'institution armée et notamment de son rôle politique. Quant à la transition marocaine, les orientations théoriques de la démocratisation doivent être plus modestes et tenir compte de la complexité du changement politique et constitutionnel qui défie toute généralisation. Car les stratégies de réforme conduites par les dirigeants du pays, et fondées sur le respect des règles du jeu acquises, s'adaptent à l'existant. L'innovation politico-institutionnelle doit présenter une garantie pour la stabilisation de la configuration du pouvoir royal. Force est de souligner que la transition marocaine est un cas atypique de démocratisation que nous appelons une «démocratisation pendulaire», dans la mesure où le processus de démocratisation, loin d'être linéaire, suit un chemin plein d'avancées et de reculs. Le fait de s'interroger sur les destinées politiques du printemps arabe en Egypte et au Maroc exige tout d'abord un retour réflexif sur la transférabilité des principes de la transitologie dans l'espace politique arabe. Comme elle nous amène à revenir sur le principe même de « transition ». Pour ce faire, nous réfléchissons avec Philippe C. Schmitter. sur les conditions de voyage du paradigme des transitions démocratiques au Moyen-Orient. Schmitter avait formulé une remarque pertinente, selon laquelle le transfert des principes généraux de la transitologie au monde islamique/musulman et, plus particulièrement au Moyen-Orient relève d'un « défi entièrement différent pour le touriste transitocum-consolidologue en puissance. Celui-ci consiste dans le fait de discerner, non pas si la transition de l'autoritarisme finit par aboutir à l'une ou l'autre forme de démocratie consolidée, mais si une telle transition a seulement commencé ou va finir par avoir lieu ». Dans cette optique, on conçoit que la validité même de « l'exigence paradigmatique» suppose une vigilance épistémologique. Car l'idée de transition vers la démocratie exige l'existence d'un point de départ et d'un point d'arrivée. Comme on le sait, chaque transition est une complexité en soi mais qui ne fait sens que parce qu'elle est en connexion avec d'autres complexités singulières qui favorisent ou freinent la poursuite du processus. Ce qui fait de la transition à la démocratie un réel pluriel. Les chemins qui conduisent de l'un à l'autre sont innombrables et à proprement parler imprévisibles. La transition insiste sur la différence d'un système autoritaire, quelles que soient ses caractéristiques propres, où la prudence politique des détenteurs du pouvoir politique peut être qualifiée de « frein à main de la transition » et d'autre part, un système démocratique, quel que soit son type de régime particulier, où du fait de la volonté populaire, qui est censée désigner par le vote les responsables politiques, le temps d'exercice du pouvoir est délimité à l'avance. Parmi les caractéristiques essentielles de la transition, il y a le fait, pendant un laps de temps, que les règles du jeu politique ne sont pas clairement définies, dans la mesure où la démocratie ne constitue encore pas la seule règle du jeu (The only game in town'') pour reprendre l'expression d'Adam Przeworski.