Vous êtes ici : Actualités / Culture / Le «fabuleux destin» d'Emel Mathlouthi Qui aurait pu dire que la petite fille à la silhouette frêle et au regard d'enfant pourrait devenir un symbole aussi grand pour la Tunisie, sa révolution, et ses grands espoirs ? Et pourtant, sa chanson « Kelmti Horra » est devenue sans qu'elle le veuille un hymne non-officielle du soulèvement populaire contre la dictature de Ben Ali. Le 29 janvier 2011, la rue tunisienne est en ébullition, Ben Ali s'est enfui, les lendemains chantent… encore et toujours. Emel Mathlouthi aussi. À Paris dans les studios de Radio Nova, lors d'une longue soirée spéciale "Nova écoute la Tunisie", dès qu'elle attaque Ya Tounes Ya Meskina avec sa seule guitare, ça crépite en simultané sur les réseaux sociaux. Emel Mathlouthi ne s'est jamais cachée, au contraire, elle et beaucoup d'artistes ont été les pionniers qui ont soutenu la liberté d'expression. Emel, Bendir Man et bien d'autres prenaient un risque énorme à décrier le système de ben Ali même à l'extérieur de la Tunisie. Pourtant, ils l'ont fait et à visage découvert. Ils ont eu le courage de leurs opinions alors que tout le monde chantait « le miracle économique » de la Tunisie de Ben Ali. Tout commence dans sa cité de la banlieue de Tunis, Emel rêve de musique. Elle fait pourtant des études d'ingénieur. C'est plutôt le rock qui la tente, à l'époque (début des années 2000), pas question pour elle de chanter en arabe. Avec son groupe de fac, elle touche un peu au gothique. Elle kiffe aussi Pink Floyd, est fascinée par Dylan et Joan Baez. Tandis qu'à la maison, elle se nourrit de classique, de jazz et de… Cheikh Imam et Ahmad Fouad Najm, les troubadours égyptiens qui ont inspiré les révolutionnaires de la place Tahrir. En 2005, elle met en musique des textes du grand poète Mahmoud Darwich et commence à écrire ses textes. Il s'agissait de Palestine, de droits de l'Homme dans une Tunisie sous surveillance mais pas silencieuse pour autant. La voix d'Emel porte, elle monte son groupe et se produit à El Teatro, emblématique lieu alternatif toléré, mais elle commence à subir des intimidations, on la menace d'interdiction vu ses activités dans les syndicats étudiants. Elle n'a pas accès à la radio ou la télé nationale mais elle réussit à emporter le concours RMC Moyen Orient 2006. C'était en Jordanie. Et c'est là qu'elle chante pour la première fois toutes ses compositions en arabe. «Kelmti Horra» son premier album sort en 2012 En 2007, installée à Paris, elle se façonne un répertoire, principalement en arabe. Elle perfectionne ses techniques au studio Cité des Arts, et tente une première sortie, un mini album auto-produit avec violoncelle. Avec Culture France, elle fait presque le tour du monde, Equateur, Georgie, Yemen pour ne citer que ceux là. A Paris, RFI la programme pour son plateau annuel à la Fête de la Musique avec entre autres, Yaël Naïm, Asa et Hindi Zahra... Pendant que sa vidéo live de Kelmti Horra tournée à la Bastille court sur le net la Tunisie est secouée par la révolte qui est si proche et si lointaine à la fois... Janvier 2011, l'histoire s'arrête en Tunisie, le peuple se soulève contre la dictature, la gabegie, la corruption, le népotisme et... Emel rejoint son pays en pleine tourmente. Elle est désormais une des figure de proue de cette révolution sans pour autant perdre sa voie artistique. Et ce n'est qu'en 2012 qu'elle sort son premier album en bonne et due forme. « Kelmti Horra » en est le titre aussi. Il regroupe dix titres où s'entremêlent l'arabe classique, le dialectal, le français et l'anglais. C'est la consécration pour elle surtout qu'elle en est aussi la productrice. Elle y pratique une musique qui ignore les frontières entre les styles et les cultures. Ses textes sont tantôt politiques, tantôt philosophiques, parfois autobiographiques. Tout porte à croire qu'elle carbure au feeling. Avec un parcours aussi riche en vie comme en musique, c'est une artiste qui laissera son empreinte car elle est à contre courant du prêt à consommer et ...à oublier sitôt sorti de la pochette.