Trois semaines après qu'il eût annoncé, avec superbe, le retrait du Parti de l'Istiqlal du gouvernement, Hamid Chabat ne sait à quel saint se vouer ! C'est peu dire qu'il mesure aujourd'hui le poids d'une décision qu'il entend assumer jusqu'au bout : s'imposer ou se démettre ! Car, une fois passé l'effet de surprise, il reste à gérer désormais l'équation d'une petite crise, peut-être une tempête, provoquée au débotté de tout le monde, mais qui interpellait et interpelle encore le petit landerneau politique de Rabat et de Casablanca. Le mérite de l'annonce spectaculaire de Hamid Chabat est de nous révéler, en définitive, que la majorité gouvernementale est aussi paradoxalement fragile qu'elle ne paraissait ! Quatre partis politiques et non des moindres – PJD ; Istiqlal ; Mouvement populaire et PPS – sont concernés par la surprenante annonce du secrétaire général de l'Istiqlal. Mais, en revanche, ils n'en souffriront pas pour autant, car aucun responsable politique ne se résoudrait à l'éclatement de cette majorité qui, la Constitution aidant, a pour mission d'assurer la gestion publique et la continuité gouvernementale jusqu'à son terme. Autrement dit, jusqu'aux prochaines élections législatives, normales ou anticipées... Hamid Chabat a décidé de parcourir les routes du Maroc profond ! C'est une manière de réponse aux cancans qui se développent ici et là, à ce jeu d'exégèse qui tient lieu de discours politique. A chaque étape de sa tournée, il écorche les uns et les autres, distribue les propos fielleux, se positionne et frappe l'imagination des populations en recourant à des anathèmes qui feraient pâmer d'envie un certain...Jean-Marie Le Pen en France ! Il aurait cependant proclamé que , dans le cas où il n'obtiendrait pas gain de cause, autrement dit si le roi n'accédait pas à ses desiderata , il partirait, démissionnerait...On ne sait quel crédit accorder à ce propos, si tant es qu'il ait pu être formulé ! Il reste que rien ne saurait nous étonner, venant d'un homme qui joue au « va-tout » , se fait une idée particulière de sa personne et surtout une piètre image de ses adversaires. En témoignent les aménités fielleuses sur un Nabil Benabdallah, traité de tous les noms, cité à tout de bout de champ... C'est la première fois dans l'histoire politique du Maroc qu'un leader, membre de surcroît de la coalition gouvernementale, met le feu à la baraque avec la volonté affichée de la faire imploser ! Du respect de la solidarité gouvernementale, il n'en a cure ! De l'attachement au principe constitutionnel, il n'en a rien à « cirer » ! C'est un homme pressé, désireux d'en découdre à la fois avec la majorité en place depuis janvier 2012, et avec une certaine ambiance où, disons-le, le faux semblant se substitue à une réalité de plus en plus déviée et chaque jour inquiétante. Chabat serait-il aussi populiste qu'un Abdelilah Benkirane ? Oui, sans doute, mais il ne joue pas sur le même registre et cette cantique de la démagogie ! Il prend le contre-pied du gouvernement, dont pourtant il fait partie, en ce que ce dernier continue de jouer à une formation de l'opposition à rebours d'elle-même et dont dirigeants et responsables se croient toujours en campagne électorale...Hamid Chabat a compris d'une certaine manière que le PJD mène campagne comme s'il était encore en campagne électorale ! Il a mesuré que, face à l'inertie caractérisée de l'opposition libérale, en prenant à ses aises, le PJD s'active en profondeur et presque en catimini, labourant les sillons d'une politique de conquête, se préparant à l'échéance majeure des élections communales qui sont, en somme, la répétition générale de celles de 2009... Le PJD, il ne s'en cache point, place ses hommes aux postes dévolus et prévus pour les confrontations stratégiques futures...On ne soupçonne point à quel degré d'ambivalence son discours, qui relève du manichéisme le plus rédhibitoire, peut bercer les uns et les autres. Tel directeur de cabinet , un certain responsable de ministère est nommé « illico presto » secrétaire général et la gestion des fonds lui revient, qui lui permet d'accorder tous les soutiens financiers aux associations islamistes ! Un autre est hissé tout de go, avec la même mission d'entrisme et de conquête, un autre enfin à un poste sensible où il ne répond que de ses exploits aux hauts responsables ! C'est ce qu'on appelle le népotisme partisan, celui-là même que le PJD dans l'opposition, n'avait cessé , on s'en rappelle, de dénoncer avec une violence inouïe ! Hamid Chabat n'a pas seulement mesuré les articulations d'une certaine évolution subreptice et de plus en plus affichée. S'il met en cause le principe d'une coalition fragilisée par les maigres résultats, économiques et sociaux, dominée surtout par les contradictions de langage et les velléités des hommes qui gouvernent, il n'épargne pas ses propres « camarades » du parti, et ne verse pas dans le favoritisme ! Sauf surprise d'ultime minute, Hamid Chabat continuera à tenir la dragée haute à un gouvernement qui incarne la sinistre image de « cautère sur une jambe de bois » ! Abdelilah Benkirane pouvait devenir un leader et fonder un modèle , comme le Premier ministre turc, appuyé sur une réelle assise populaire ! Il s'est contenté de faire du populisme qui, la perfidie aidant, s'est transformé en un arrogant procès de ses adversaires. Il n'a pas su restaurer la relation entre le gouvernement et le peuple qui, n'en déplaise aux thuriféraires , s'est évanouie dans les sables des promesses... Il pouvait également fédérer autour de lui les élites, vieilles qui ont voté pour le PJD et les nouvelles, récupérées sur les ruines des anciennes majorités. Il pouvait enfin susciter les énergies et rassembler les jeunes autour d'un programme de réformes ambitieuses et porteuses, il s'est contenté de raviver les césures et , tout compte fait, de séparer plus que de raison...