L'histoire de « L'Escale », (Louise Productions-Kaléo Films), premier long-métrage documentaire du cinéaste irano-suisse, Kaveh Bakhtiari, est digne d'un film. Un film dont l'intrigue tourmente actuellement, aux quatre coins de la planète nos frères humains, en quête d'un ailleurs car épris d'une vie meilleure. Alors que le réalisateur, se rend à Athènes, invité d'un festival grec afin d'y présenter son court-métrage, « La valise » (2007), il apprend qu'un membre de sa famille, Amir, originaire d'Iran, a quitté le pays natal, depuis la Turquie sans se noyer… « (...) il avait réussi à rallier illégalement l'île de Samos où il avait finalement été cueilli par les douaniers grecs et incarcéré à Athènes. Moi, on m'invitait dans un hôtel pour parler de mon film, alors que lui, qui voulait juste transiter par la Grèce pour aller plus loin en Europe, était sous les verrous. Je l'ai finalement rejoint à sa sortie de prison. Il m'emmena alors dans son «lieu de vie» dans la banlieue d'Athènes, une buanderie aménagée en petit appartement où d'autres clandestins se terraient en attendant de trouver le moyen de quitter la Grèce », confie Kaveh Bakhtiari. Cette réalité, celle d'hommes qui s'efforcent de survivre au quotidien, aux prises avec le danger d'être expulsé de Grèce, pousse le cinéaste à suivre les pas de ses héros de l'ombre. « C'est ainsi que je me suis immergé dans la clandestinité, ou plutôt dans l'univers des clandestins, des destins suspendus et des passeurs », avoue-t-il sans ambages au fil du dossier de presse destinée à la presse. Le réalisateur décide de s'installer en Grèce durant un an, multipliant les allers et retours, généralement pour des raisons techniques.« J'aurais pu m'installer à l'hôtel, dans un endroit plus confortable qu'une vieille buanderie d'où l'on avait vue sur le trottoir en grimpant sur un tabouret, jamais je n'ai vu défiler autant de pneus de voitures et de chaussures que de cette fenêtre ! Mais j'aurais eu l'impression d'être un voleur si j'avais débarqué ponctuellement avec ma caméra pour capter des pans de leur vie », explique-t-il, poursuivant : « Je ne voulais pas non plus m'immerger dans leur univers comme un corps étranger, mais tout simplement parcourir avec eux un bout de chemin en alter ego, en Iranien comme eux, bien que j'aie aussi la chance d'être citoyen européen. J'ai alors filmé leur vie au quotidien en vivant et en dormant dans ce havre athénien surpeuplé, empli de peurs, de rires, de cris étouffés et où des vies basculent à jamais, sans autre loi que celle du hasard ». Une caméra salvatrice dans un espace clos Economie de moyens et équipe réduite dictent les contours du tournage de « L'Escale » : « Je devais avoir l'air d'un touriste pour la police et j'ai travaillé seul, avec une toute petite caméra numérique pour tout matériel. Au fil du temps j'élargissais mon territoire de tournage concentriquement, mais plus l'histoire avançait, plus les événements s'enchaînaient, plus il était primordial de rapatrier les rushes en Suisse. C'était la mission de Marie-Eve Hildbrand, qui est venue plusieurs fois à Athènes et qui à été la collaboratrice artistique du film depuis le début. Elle est également venue pour filmer deux scènes très risquées que des techniciens grecs avaient refusé de faire », souligne Kaveh Bakhtiari. Si ce film documentaire a été réalisé avant la crise grecque et la montée évidente d'une extrême droite se revendiquant du nazisme, aujourd'hui, on peut s'interroger sur la situation des clandestins brossée à travers « L'Escale » : « la situation est catastrophique. Les migrants, fustigés par l'extrême droite, sont devenus les boucs émissaires des malheurs de la Grèce. Maintenant, ils sont pourchassés, tabassés ou tués par les gros bras d'Aube Dorée, un parti ouvertement xénophobe. Afin d'échapper aux agressions, beaucoup ont quitté Athènes pour se cacher dans les forêts. Mais il reste évidemment des Grecs qui font de leur mieux pour les aider, bien que maintenant certains pensent aussi à quitter leur pays... ». Kaveh Bakhtiari est né à Téhéran en 1979, et a grandi en Suisse où il est arrivé à l'âge de neuf ans. Après des études de cinéma à L'ECAL à Lausanne (1999-2003), il se fait remarquer avec un premier court-métrage de fiction, «La Valise» (2007) sélectionné et primé dans de nombreux festivals à travers le monde : Genève (Prix du meilleur court-métrage suisse), Regensburg (Prix du public), Trieste, Tampere, Edinburg, Sydney, Festroia, CineJove Valence, Ficfa Moncton, Badalona. Il rencontre Abbas Kiarostami lors d'un workshop, le persan étant sa langue maternelle, il noue alors une relation privilégiée avec Kiarostami, qui lui parlé d'une pierre précieuse sans laquelle, selon lui, toute démarche cinématographique est vaine. En 2009, il est nominé en tant qu'auteur au Sundance-NHK International Filmakers Award. «L'Escale», sélectionné en 2013 à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, est son premier long-métrage documentaire. Pour Kaveh Bakhtiari, « L'EScale » évoque les «désillusions». C'est un film sur des gens qui essaient de s'extraire de leur condition et d'avoir prise sur leur destin. Dans « L'ESCALE », il s'agit de migrants amenés à prendre des risques démesurés précisément là où ils s'y attendent le moins », conclut-t-il. Après « Illegal », « A wolrld not ours », c'est au 7e art iranien de s'attacher à dépeindre les destins des « naufragés d'Athènes », à la frontière du réel et des murs.