Comment l'idée de ce roman est née ? Elle est née de mon envie de raconter une période de ma jeunesse. Il s'agissait alors d'un moment important pour moi, car il correspondait au temps où j'entrais peu à peu dans l'âge adulte, avec un grand sentiment de liberté : j'étais encore porté par l'innocence de l'enfance, quittant à peine le cocon familial. C'est de plus un moment important de mon pays, le Liban, puisqu'il a coïncidé avec la guerre. Ce livre n'est pas une autobiographie, les personnages évoqués sont le fruit de mon imagination, mais ils sont inspirés par des personnes que j'ai connues dans la grâce de cette période. Pourquoi ce titre, « Les Désorientés » ? J'aime particulièrement ce mot pour son double sens. Il rappelle à la fois, l'égarement, doublé de l'idée de l'Orient, précisément quelqu'un qui a perdu son Orient... Les personnages de ce roman ont, en effet, perdu leur Orient, leur Levant. C'est un titre qui s'est rapidement imposé à moi, au plus de l'écriture de cet ouvrage. Vous y évoquez en filigrane, la Turquie, Istanbul et l'Anatolie où une partie de votre famille a vécu. S'agit-t-il de votre roman le plus abouti ? Un auteur est toujours mauvais juge de ce qu'il écrit. « Les Désorientés », est un livre important à mes yeux, car il incarne le livre de la maturité. Il arrive un moment dans la vie, où on est amené à faire la part des choses, un constat suite à une évolution, le récit de ce roman fait état à l'issue d'une douzaine d'années, de cette époque que j'ai vécue, entouré de plusieurs communautés dans une vraie harmonie. Ma grand-mère a vécu dans l'Est de l'Anatolie, mais j'ai l'impression que je n'ai pas encore suffisamment évoqué cette part de l'histoire de ma famille. Je suis d'ailleurs, le premier membre de ma famille à être né au Liban. Mon père était sujet ottoman, – j'ai découvert son acte de naissance écrit en turc- ma mère est née en Egypte, alors que le pays sortait à peine de la suzeraineté ottomane, j'ai un sentiment de nostalgie, l'esprit de tolérance s'est perdu et aurait de surcroît pu évoluer différemment. J'ai choisi de croiser le destin d'un exilé, Adam, personnage qui a connu la résistance. « Les Désorientés » rappelle une certaine idée du syncrétisme, à travers les diverses confessions et langues de ses personnages. Vous attachez une part importante aux identités multiples et pas uniquement aux identités meurtries... Oui ! Le fait d'être originaire du Liban, au cœur de nombreuses et riches communautés porte naturellement à une ouverture d'horizon à propos d'autrui. J'ai en moi, une partie de ces différentes identités, je suis à l'image de ce pays et de l'histoire de ces diverses communautés. Lorsque l'on a vécu vingt-sept ans dans son pays natal, puis trente-six dans son pays d'adoption, qui est aujourd'hui la France, on ne peut pas considérer n'avoir qu'une identité, et on a envie de s'attacher à tous les aspects qui la constitue. Dans le monde actuel, on a besoin d'assumer tous les éléments, la complexité, les sensibilités de son identité. Si chacun y parvenait, il en résulterait une richesse infinie. Une identité univoque me semble dangereuse. Et nous gérons très mal la multiplicité des langues et des cultures, il y une appréhension de la pluralité du monde. Dans quelle langue rêvez-vous ? Je rêve sans aucun effort en deux langues, parfois trois. Vous avez été le parrain du Salon Littérature et Journalisme à Metz. Parlez-nous de votre vie de journaliste... J'ai en effet été journaliste avant de venir au roman. J'ai intégré la rédaction de Jeune Afrique en travaillant aux côtés de son fondateur, l'éditorialiste, Béchir Ben Yahmed et en étroite collaboration avec mes confrères issus du continent africain. Chacun d'entre nous était en quelque sorte l'ambassadeur de son pays, nous avons couverts avec passion les changements et les bouleversements majeurs de nombreux Etats d'Afrique. Etiez-vous venu en reportage au Maroc ? Oui, plusieurs fois. Mais j'ai surtout l'excellent souvenir d'être venu présenter mon livre, « Léon l'Africain » à Rabat en décembre 1986. J'ai à ce titre situé ce roman à Fès, j'aime beaucoup le Maroc. Aujourd'hui, je ne voyage plus souvent, mais j'aimerais y retourner, je me souviens avec force de Tanger, Tétouan, Marrakech, Fès, Casablanca. Que faites-vous lorsque vous n'êtes pas en écriture ? Je lis énormément, j'écoute de la musique. Mon entrée à l'Académie Française me demande du temps, je me consacre à l'étude des mots, à l'étymologie. J'aime le mot « voyageur », ma vie est entièrement dévolue à la littérature.