Il faut un évident talent de conteur et un profond goût de l'humain pour se glisser dans la peau noire de Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Une ténacité, doublée de générosité, jamais démenties chez Eugène Ebodé, dès lors qu'il s'est mis en quête de retranscrire la voix de Rosa Parks, dans La Rose dans le bus jaune (Ed. Gallimard, février 2013). Un roman écrit à la première personne, d'une rare force, qui dit sous la voix douce, presque effacée de cette femme un brin timide, la lassitude et la colère de tout un peuple. Une femme qui décide ce fameux 1er décembre 1955, à Montgomery en Alabama, de ne pas se lever de son siège, alors installée dans un bus, pour céder sa place à un Blanc, comme le préconise la loi en vigueur dans cet Etat du sud de l'Amérique. La métaphore de La Rose dans le bus jaune , septième roman d'Eugène Ebodé, écrivain, poète, prolifique, prend forme. Le « non » de Rosa, va la porter à un acte de résistance, révolutionnaire dans l'état sudiste, qui va totalement bouleverser sa vie. Militante active, elle a déjà rencontré le charismatique Martin Luther King et gravite avec son époux, Raymond dans le milieu de la NAACP locale, l ‘Association nationale pour l'amélioration de la condition des gens de couleur. Elle sait les incessantes humiliations, les lynchages gratuits du Ku Klux Klan, les arrestations répétées des membres de sa communauté, noirs de violence, de haine, de mépris. Brave ouvrière, couturière appliquée qui a cousu avec une attention de chaque instant, toute la journée de ce 1er décembre des layettes, des bavoirs, en vient à un triste constat, mariée à Raymond, ils n'ont toujours pas eu d'enfants mais le jour de leur mariage à Pine Level en 1932, il lui avait dit, « You'll certainly be a sweet mother ». Mais l'esprit de Rosa est habité par ces mots. « Il faut encore avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». Citation empruntée à Nietzsche, par Eugéne Ebodé et qui renaît à travers Rosa Parks. Des mots sur des maux L'auteur a-t-il été marqué enfant ou adolescent par la destinée hors du commun et le féroce combat de Rosa Parks ? « Non. Ma mère me manquait, je vivais en France, où je me sentais plus que jamais immigré. J'ai vu dans le personnage de Rosa le lien maternel », confie de sa voix rieuse et chantante, Eugène Ebodé, quelques minutes avant la présentation de son roman au 19e Salon International de l'Edition et du Livre de Casablanca. L'idée de ce roman germe à l'esprit de l'auteur en 2000. A coups de trois voyages, « nécessaires à l'écriture de cet ouvrage », Eugène Ebodé marche sur les pas de Rosa, héroïne de la cause noire, qui va se muer en nouvel être de papier au fil de sa narration. On peut se demander comment a été accueilli l'auteur, en Alabama et surtout dans l'Amérique de Barack Obama ? « Avec méfiance, je sentais bien que sur les lèvres de certains, il y avait ce questionnement. « Vous, Africain, où étiez-vous lors de nos combats et de nos souffrances ? », explique Eugène Ebodé. Si l'écrivain a sillonné les venelles sombres de Montgomery, à la recherche du souvenir de Rosa, il s'est interdit de lire les nombreuse biographies, sur cette grande dame. Un éclaireur inespéré, chauffeur de taxi qui se délie avec aisance au cours d'une course confie à l'auteur, qui le questionne au sujet de Dougals White Junior, l'homme à qui Rosa a refusé de céder sa place dans le bus, « Etait-il vraiment blanc ? . Un élément insoupçonné qui allait prendre vie à travers le récit de « « La Rose dans le bus jaune », exhumant les Noirs de couleur blanche, aspect qui a longtemps été exploité dans la littérature et au cinéma américain : Douglas White Junior, est en fait, noir et ne peut dire l'inavouable… Autre jalon déterminant qui ponctue le souffle de ce roman, l'engagement des musiciens de l'époque, aujourd'hui, véritables icônes de leur temps. Parmi eux, Harry Belafonte, Nina Simone, Joan Baez, qui ont participé aux manifestations orchestrées par leurs frères humains noirs. « Je souhaitais qu'ils aient également voie au chapitre. Ils ont activement milité aux côtés de leur communauté face à la traque ambiante et aux méthodes d'intimidation diffuses », souligne Eugène Ebodé. Quant à l'Afrique, elle est immanquablement, un personnage fort en présence. La Rose dans le bus jaune se referme, tout à fait éclose sur la filiation, la transmission de Rosa qui demande à Douglas White Junior de la représenter lors de l'inauguration de la rue Rosa Parks en Guinée. Belle alliance de fraternité et de ténacité à la mémoire de celle, qui est « restée assise pour tenir debout ».