Sourire en bannière, regard droit, Marguerite Abouet est l'auteur à succès de la célèbre série de bande dessinée, « Aya de Yopougon » (éd. Gallimard, collection Bayou), publiée dans l'Hexagone en 2005. Elle accepte manifestement, ravie, de nous accorder un entretien dans les jardins de l'Institut français de Meknès, où moins de quelques heures auparavant, elle a partagé les secrets de fabrication de cette BD, adaptée en film d'animation, et qui fera sa sortie dans les salles obscures le 24 juillet prochain. Comment êtes-vous venue à l'écriture ? Tout a commencé, par mon envie d'écrire des histoires qui racontaient mon enfance à Abidjan, plus précisément ma vie dans le quartier populaire de Yopougon, où j'ai vécu, jusqu'à l'âge de douze ans. Un ami dessinateur, pour la littérature jeunesse, Clément Oubrerie (le célèbre auteur de la bande dessinée « Zazie dans le métro », adaptée du roman de Raymond Queneau), m'a proposé de dessiner mes écrits. Il m'a alors demandé de lui montrer des photos de moi, enfant. Il avait besoin de s'imprégner des couleurs et de l'environnement africain, afin de réaliser des dessins, propres à l'image de mon enfance africaine. Ce premier projet était alors intitulé « Akissi », du nom du personnage principal, une petite fille, évidemment très proche de celle que j'avais été. Clément Oubrerie, l'a envoyé à la maison d'édition Gallimard, il y a sept ans de cela. Une semaine après, nous avons eu un retour très positif, les éditions Gallimard envisageaient de créer une collection consacrée à la BD et dirigée par Joann Sfar. Mais, le personnage d'Akissi, ne correspondait pas au public pour lequel cette nouvelle collection était destinée, il s'agissait d'un lectorat d'adolescents et d'adultes. On m'a demandé de faire grandir, la petite Akissi, ce que je ne pouvais pas faire, j'ai donc, proposé de créer un autre personnage, plus âgé, Aya. Elle véhiculait le quotidien des jeunes africains, tiraillés entre joies, espoirs et doutes incessants, au sein d'une Afrique positive, dénuée de misérabilisme : « Aya de Yopougon » était née. C'était important pour vous de montrer le visage chaleureux et jouissif du continent noir ? Absolument. J'étais lasse des nombreux clichés, constamment associés à l'Afrique, toujours dépeinte entre guerres, famines, alors que j'ai eu une enfance très heureuse, en Côte d'Ivoire. Justement, parlez-nous de cette grâce de l'enfance... Je vivais au cœur d'une très grande famille, installée à Yopougon, quartier populaire niché au milieu de tant d'autres, je pouvais rentrer discuter, manger, dormir chez nos voisins : nous vivions tous ensemble et formions différentes communautés, musulmanes, catholiques, animistes, dans une véritable harmonie. Ce métissage ambiant, on le retrouve dans la BD, « Aya de Yopougon ». Je donne volontiers des prénoms musulmans à des personnages issus de familles chrétiennes, c'est un clin d'œil hérité de cette Afrique. Cela correspond davantage, à mon identité, qui est multiple et qui ne m'a jamais quittée, même à mon arrivée en France, j'ai continué à m'imprégner de diverses cultures. « Aya de Yopougon » a un grand destin, cette bande dessinée a été adaptée en film d'animation... Cette histoire que j'ai écrite seule au départ et qui a évolué vers une œuvre à quatre mains avec la précieuse collaboration de Clément Oubrerie, est aujourd'hui incarnée par un long-métrage. L'idée a été proposée par Joann Sfar, auteur du film d'animation, « Le Chat du rabbin »(César 2012). Suite au succès phénoménal de son film, Joann m'a suggéré d'adapter ma BD en film. Il en résulte trois ans de travail. J'ai écrit le scénario avec Clément et Joann. Ce premier film d'animation regroupe tous les accents africains possibles et imaginables, j'espère de tout cœur qu'il va plaire aux Africains. Les voix sont celles des comédiens Aïssa Maygua et Jacky Ido. J'aimerais venir le présenter l'an prochain au FICAM. Il sortira le 24 juillet prochain, en France. Etes-vous en projet pour un autre film ? Oui. Je viens d'achever l'écriture d'un scénario d'un long-métrage de fiction, j'aimerais confier l'un des rôles masculins à Jacky Ido, il est mon acteur favori. Il s'agirait d'un film qui se situe entre la France et l'Afrique. Quels sont les films que vous avez vus récemment ? « Good bye Morocco » de Nadir Moknèche et « Syngué Sabour- Pierre de patience » de Atiq Rahimi. J'aime me nourrir de toutes les sensibilités, c'est comme goûter à toutes les formes de cuisine.