Le seuil d'alerte serait franchi cette année. Les avoirs extérieurs du pays ne permettraient de couvrir que deux mois et demi à 3 mois d'importations de biens et services. La sonnette d'alarme est tirée par Ahmed Lahlimi Alami, patron du Haut commissariat au Plan (HCP) lors de la présentation mercredi à Casablanca du budget économique prévisionnel 2013. Déjà les derniers chiffres officiels font état d'une dégringolade des avoirs extérieurs nets qui se sont établis à 139 milliards de dirhams au 25 janvier 2013, soit une perte sèche de près de 17 %. La solvabilité extérieure en ballotage Cette détérioration des réserves ne manquerait pas d'impacter négativement la solvabilité extérieure de l'économie nationale et partant, son aptitude à honorer ses engagements à l'international, voire sa capacité de résilience face à la survenance brusque d'un choc quelconque. Elle est en mesure même de briser la confiance des marchés étrangers envers le Dirham. Le risque de change guette. Et ce n'est pas un hasard que le FMI appelait à une flexibilité du régime de change, bien que cette invitation ne soit pas vue d'un bon œil auprès de la banque centrale. La fragilité du système financier conjuguée à un état critique de l'assise financière de l'Etat ont motivé le recours massif à l'emprunt étranger observé depuis l'année 2012. Mais pas seulement. L'endettement local a explosé lui aussi au point de frôler le risque d'être incontrôlé. En somme, l'endettement public par rapport au PIB a franchi pour sa part la zone rouge délimitée par les institutions internationales, une dette à 60 % du PIB, comme l'a affirmé Lahlimi. Celui-là même exprime en toute franchise ses inquiétudes en avouant que cette situation intolérable «recouvre plusieurs significations chez les marchés financiers étrangers». Il explique sans détour que l'on a déjà commencé à puiser dans les réserves stratégiques de change en vue de contrer la menace sérieuse du cercle vicieux de l'insolvabilité. Il n'est plus secret pour personne que les recettes budgétaires ne suffisent plus à rembourser les emprunts contractés. Au point que comme a averti le Haut commissaire au plan, le Maroc emprunte juste pour honorer ses engagements financiers et non pas pour insuffler une dynamique à la machine des investissements. Il semble donc être pris entre l'enclume du défaut de paiement et le marteau du surendettement. La pression sur les liquidités bancaires est telle que l'encours des créances à l'économie avait enregistré en 2012 une perte de vitesse à 6,3 % au lieu d'un accroissement de 10,3 % une année plus tôt. Malmené par ces tensions, le marché monétaire avait été même le théâtre d'une destruction monétaire qui s'est traduite par une évolution négative de la masse monétaire de l'ordre de 0,5 % au quatrième trimestre 2012, en variation trimestrielle. Atténuer le risque d'illiquidité Que faire alors face à ce déficit de liquidité devenu structurel ? Comme à l'accoutumée, les autorités financières et monétaires font toujours preuve de rivaliser d'ingéniosité. Anticipant cet accident de parcours, ils ont met de côté un matelas de sécurité à fin d'atténuer les ardeurs du risque d'illiquidité. En effet, selon les informations qui circulent, le Maroc a reçu la première tranche de l'aide promise par les pays du Golfe chiffrée à 2,5 milliards de dollars sur un total de 5 milliards, suite à la dernière tournée royale effectuée au mois d'octobre 2012. Et voilà une preuve d'un « Maroc pauvre », pour reprendre le terme exact de Lahlimi, qui vit au dessus de ses moyens. À son avis, cette manne financière qui tombe à pic tirerait vers le haut la barre des importations de biens et services exprimées en avoirs extérieurs pour se fixer à 3 mois au lieu du scénario prévisionnel de deux mois et demi. Plus encore, le pays compte à son arc la ligne de crédit de précaution d'une valeur de 6,2 milliards de dollars dont le FMI a donné dernièrement son feu vert. Néanmoins, ces dispositifs ne reflètent en réalité qu'une mission de sapeur pompier pour combattre le feu et limiter la propagation des périls. Lahlimi conçoit qu'il est grand temps de revoir la politique monétaire. «Ce n'est pas une impie de repenser la politique monétaire qui reproduit toujours les mêmes schémas et orientations traditionnelles…», lance-t-il. Sa conception toute simpliste consiste à secouer le cocotier et débarquer des sentiers battus. En termes plus simples, il veut dire étendre la marge de manœuvre de cette politique. Dans le sens d'aérer plus le périmètre du jeu en matière du triptyque «sacré» d'inflation, taux directeur et taux de change. Il prône une grande flexibilité à ce niveau. Renvoyant aux expériences réussies de bon nombre de pays asiatiques, le Brésil ou encore la Turquie qui ont osé donner plus de souplesse à leur système monétaire et voici les récoltes de croissance perceptibles. Ce point de vue ne semble pas inscrit sur la même longueur d'onde de la banque des banques. Les règles prudentielles administrées par l'institution d'émission consacrent la règle des équilibres macroéconomiques. Cette règle constitutionnalisée invite à méditer. Interroger par le Soir échos sur la question, Lahlimi, loin de convaincre, semble perdu dans la quête des niveaux optimales d'inflation par exemple laissant de côté les problématiques pratiques de la compétitivité et de la productivité de l'économie et la défaillance de son commerce extérieur. La piste de la réforme de la politique monétaire Sur ce chapitre, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank-Al Maghrib (BAM), en sait quelque chose. À ses yeux, il n'est pas question de jouer avec plus de liberté sur le triptyque «sacré» d'inflation, taux directeur et taux de change. Excellant avec brio son jeu d'équilibriste, Jouahri donne la preuve et à maintes reprises de la solidité de ses fondements. L'économie nationale ne dispose pas encore ni d'une taille ni d'une masse critique lui permettant de voler les ailes libres. Le message est on ne peut plus clair: comparer l'incomparable. Lahlimi, à ses convictions défendant, voit dans la réforme de la politique monétaire une piste salutaire à même de conforter les pressions exercées sur le budget général. Il conseil comme d'habitude de revoir également le modèle économique poursuivi. Lequel reste principalement tiré par la locomotive de la demande intérieure. Ce n'est pas un pêché, ajoute Lahlimi, puisque c'est pareil dans presque toutes les économies mondiales. Mais quand même il faudrait penser à aller dans le sens de réviser à la baisse le niveau de la consommation intérieure. Un objectif facile à atteindre en activant certaines mesures fiscales. Il pense plus précisément à la consommation publique. Pour lui il est inconcevable de continuer sur cette politique expansionniste de dépenses, laquelle a prouvé ses limites au fil du temps. Détaillant que la solution n'est pas de limiter les investissements publics, d'ailleurs, le Maroc est classé 2e après la Chine en termes de dépenses d'investissements à l'échelle internationale. Mais d'améliorer la rentabilité des capitaux investis de sorte à maximiser les retours sur investissements. En un mot, c'est une question de gestion et de gouvernance de la politique des investissements au Maroc. Lahlimi croit qu'il est temps de désengager graduellement pour céder de la place au capital privé. Il est choquant de voir ce capital dormant ne se mobiliser que dans le cas d'investissements spéculatifs. L'exemple le plus étayant est celui du secteur immobilier. Lahlimi invite à ce titre le gouvernement à encourager les investissements innovants en mesure de créer plus de valeur ajoutée à l'instar de l'économie du savoir et l'économie verte. Il avise que c'est la tendance et si jamais on produit des retards on risque de rater le train. Toutefois, il est utile de se poser les vrais problèmes, ceux liés à un cadre macroéconomique favorable, à l'égalité des chances et à l'équité sociale. Là, c'est la volonté politique qui est pointée. Partant de ce constat de fait, le HCP compte apporter sa modeste contribution à cette réflexion qui engage toute la nation. Trois études seront ainsi menées. Les deux premières portent sur l'évaluation de l'efficacité des investissements réalisés et l'analyse de la compétitivité de notre commerce extérieur. La troisième a trait à une approche théorique et empirique sur l'interaction entre croissance économique, taux d'intérêt, taux de change et inflation.