Ce mardi, le Raja a renversé la donne en disposant du WAC, après avoir été mené dans un match au scénario palpitant. D'autre part, il y avait aussi une forte activité aux abords du Complexe sportif Mohammed V, occupés par le public casablancais durant plus de sept heures. Récit d'une journée pendant laquelle toute la métropole a retenu son souffle. L'espace réservé au public du RCA était plein à craquer. Il est 9h du matin. Le Maroc célèbre aujourd'hui le 37e anniversaire de la Marche Verte, mais l'activité est assez intense pour une jour férié. Des dizaines de motos et de triporteurs, en plus de quelques piétons déferlent sur la rue Socrate, l'une des principales voies menant au Complexe sportif Mohammed V. A première vue, deux masses se distinguent, l'une vêtue en vert, l'autre en rouge. Chacun des deux clans arbore des emblèmes et chantonne à tue-tête. En ce mardi de derby entre le Raja et le Wydad, la ville de Casablanca fait l'objet d'un important clivage. « Je suis venu de Derb Sultan pour voir le Raja massacrer le WAC. Notre équipe a été alimentée de nouveaux joueurs qui ont déjà prouvé leur valeur. Il n y a pas de doute, on sera vainqueurs » s'est réjouit Hakim, un drapeau dans une main et le bras de son fils dans l'autre. Un patté de maison plus loin, un groupuscule de Wydadis s'agite devant une personne qui essaye, non sans peine, de se faire discrète. Il s'agit d'un revendeur au marché noir, qui représente le dernier espoir pour ces jeunes venus supporter une formation qu'ils idolâtrent. « Je suis venu de bien loin et je ne compte pas laisser tomber aussi facilement. Je dois accéder au stade parce que j'ai le pressentiment que le WAC va gagner, surtout avec l'apport du nouvel entraîneur » nous confie Zakaria, fervent adepte des rouges qui n'a pas l'air découragé par le prix du ticket, carrément doublé à deux heures du grand rendez-vous. Les saisonniers du derby A cent mètres du stade, l'ambiance sonore était dominée par l'écho des chants du public ayant déjà accédé aux gradins. La quasi-totalité des commerces situés aux alentours du stade ont été conviés au congé aujourd'hui, laissant place à des petits métiers fleurissant considérablement le jour du derby. L'occasion pour ces jeunes, souvent issus des quartiers avoisinants le stade, d'amasser un bon pécule. Des gardiens de motos ont élu domicile devant les rideaux clos des cafés et épiceries, formant de longues chaînes de pneus et d'acier qui ont remplacé les voitures parquées en temps normal. Une fumée blanche et une odeur de barbecue « low-cost » envahissaient la grande place située devant le complexe. Plusieurs vendeurs de saucisses grillées y ont déposé leur charrettes, ainsi que ceux proposant de la « Mouaâlaga », un mythique sandwich à base de thon. Après avoir fait une escale chez ces acteurs économiques du derby, la foule s'est empressée de rejoindre l'entrée su stade, où patrouillaient des policiers à cheval et des agents de la sûreté nationale. Arrivés à l'entrée réservée à la presse, nous avons vite été dissuadés de la facilité de la tâche. Les badges réservés aux journalistes n'avaient apparemment pas grande utilité, puisque l'accès « exclusivement dédié à la presse » était exploité par d'autres membres du public, sans même présenter de ticket parfois. Après avoir frôlé l'asphyxie et reçu quelques coups de coudes, nous sommes finalement parvenus à la tribune de presse. Un chaudron verdâtre-ensanglanté Près de cinquante mille supporters se sont agglutinés dans les entrailles du ‘'Stade d'Honneur''. A 13h tapante, l'espace réservé au public du RCA était plein à craquer, alors que celui du WAC pouvait toujours accueillir d'autres fans. La séance d'échauffement venait de commencer et les Rajaouis ovationnaient leurs joueurs un à un, tandis que le public rougeâtre répétait les chants de ses ultras. Dix minutes plus tard on découvre, en jetant un coup d'œil sur l'horloge, que celle-ci affiche 17h11 à tout moment de la journée. Les forces policières, qui se sont constituées en parois humaines entre les membres du même public et dans les zones séparant le rouge du vert, étaient clairement surmenées. Cela n'a pas empêché l'un d'eux, dans une esquisse de générosité et de compassion, de glisser une bouteille de soda dans la poche d'un mineur qui s'était frayé une place dans… la zone de presse ! La frénésie a atteint son comble lors du déploiement des tifos. Les ultras du Raja ont rendu un hommage à Salaheddine Bassir, dont le visage était dessiné par des milliers de bouts de papier, alors que les Winners ont préféré brandir « North Side » accompagnée du logo de l'ultra. Les deux camps se sont échangés les politesses durant l'intégralité des 90 minutes du temps réglementaire. Chacun fredonnait ses chorales dans une sorte de « Battle of fans », dont l'intensité a chuté après le deuxième but des Verts. Le troisième, lui, avait l'effet d'une douche froide, et a poussé les partisans du WAC à rebrousser chemin plus tôt que prévu, soit 10 minutes avant le terme de la rencontre. Un constat qui a facilité l'évacuation des supporters, puisque les deux groupes ne sont pas croisés à la sortie. Au chemin du retour, la marche verte fut un réel vécu et non seulement une fête nationale. Quelques gifles de correction à l'encontre de certains délinquants ont assuré un paisible après-match. La soirée des Rajaouis devait être beaucoup plus euphorique que celle des frères-ennemis. Ces derniers auront une chance, dans un mois, de prendre leur revanche dans le cadre de la 12e journée de la Botola Pro, dans un derby qui n'en finira jamais de passionner la ville des mordus de football. * Tweet * *