Alors que tous les regards sont tournés vers la Syrie et cette guerre qui s'éternise sans qu'aucune solution intéressante soit visible, on assiste à un silence coupable concernant la situation au Mali, pourtant fortement préoccupante. Rappel des faits : depuis fin mars, suite au coup d'etat militaire qui a renversé le président ATT (Amadou Toumani Touré) à quelques semaines des élections présidentielles, le pays est quasiment scindé en deux, entre un sud « dirigé » par la junte militaire du capitaine Amadou Sanago, dont la puissance et l'efficacité sont pour le moins discutables, et un nord sous la coupe des islamistes, affiliés pour certains d'entre eux à AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique). Ces derniers s'étaient au départ alliés avec les Touaregs pour affronter l'armée du pays qui n'a pas su résister et a procédé à de nombreux replis vers le sud, en raison d'une désorganisation et d'un manque de moyens militaires manifestes. Mais très rapidement, des divergences profondes se sont manifestées entre les deux alliés de circonstance, et les islamistes ont pris le dessus sur les Touaregs qui ont abandonné les positions conquises. La communauté internationale a vivement critiqué le coup d'etat, mais surtout l'incapacité de la junte à rétablir la sécurité sur l'ensemble du territoire, les Occidentaux se méfiant de la constitution de l'autre côté de la Méditerranée d'un foyer propice au développement d'Al-Qaïda. Toutefois, elle était dans l'impasse, ne pouvant répondre positivement à la demande de la junte d'envoyer une force internationale dans la mesure où les militaires au pouvoir n'avaient aucune légitimité, et devant prendre en compte, du moins pour la France, de la présence d'otages dans la région qui seraient à coup sûr utilisés comme moyen de pression. Donc rien n'a été fait, et ce qui n'aurait pu être qu'une brève tentative pour Al-Qaïda de s'enraciner dans un pays est désormais une réalité qui dépasse les espérances de ses propres dirigeants. En effet, dans plusieurs villes dont Gao surtout, les islamistes ont su jouer finement leur partition : en présentant au fur et à mesure leur conception de l'Islam pour le moins stricte et rigide, en améliorant le sort de la population via la mise en place de « grands travaux », en prenant le parti du peuple face aux abus et exactions commises par le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), un groupe touareg laïc, ils parviennent dans une certaine mesure à se faire accepter. Ils créent également un mouvement détaché d'AQMI pour se donner une autre image, le Mujao (Mouvement unicité et jihad en Afrique de l'Ouest), même si sur le fond, les idées ne diffèrent guère. A plusieurs reprises, leurs actes (lapidation de couples illégitimes, mains de voleurs tranchées...) ont choqué la communauté internationale, mais également la population locale qui dans plusieurs localités s'est opposée à ces châtiments contraires aux droits de l'homme. L'espoir d'une reprise en main de la situation, d'un retour à un etat de droit où la souveraineté s'exercerait sur l'ensemble du territoire, s'est présenté avec le retour à la fin juillet du président intérimaire Dioncounda Traoré. Déterminé à inverser la tendance actuelle qui fait du Mali un ensemble de deux Etats toujours plus différents politiquement et socialement, il a annoncé la création de plusieurs instances (Haut Conseil d'Etat, Conseil national de transition, gouvernement d'union nationale) censées, sans que cela soit évoqué à haute voix, écarter du pouvoir la junte militaire et permettre l'organisation d'élections libres. Toutefois, cette forte volonté se heurte au jeu politique classique et complexe des nominations, les choix de Traoré n'étant pas acceptés par tous. Le débat porte à la fois sur le maintien ou non du Premier ministre Cheick Mobido Diarra, jugé peu apte au poste, ainsi que sur la nomination des deux vice-présidents, plusieurs rumeurs évoquant pour celui en charge de la réforme de l'armée le capitaine Sanogo, ce qui provoquerait un vif mécontentement légitimement compréhensible. L'ONU s'inquiète de l'instabilité politique dans le pays, mais plus que tout du blocage actuel, le président Traoré avait jusqu'à vendredi dernier pour constituer l'équipe au pouvoir. Ce retard n'est pas anodin, témoignant de clivages profonds au sein du pouvoir, dont profitent évidemment les islamistes au nord. Néanmoins, pour ces derniers, l'avenir risque d'être compliqué à gérer, car la possibilité d'une intervention militaire étrangère pour les déloger n'est pas à exclure, le ministre de la défense français l'ayant même jugée « inéluctable ». Elle serait conduite par des soldats d'Afrique de l'Ouest avec l'appui logistique de l'ONU. Mais cela ne peut se faire que si le Mali le demande, et surtout que si un gouvernement légitime est au pouvoir. C'est le Sahel dans son ensemble qui est concerné, sa sécurisation doit être une priorité internationale. Ce qui se passe au Mali pourrait avoir lieu ailleurs, les islamistes profitant systématiquement de la faiblesse des Etats.