La récente exposition à Genève, lors du Salon international du livre et de la presse, d'un nombre considérable d'œuvres de peintres marocains a donné lieu à la publication d'un album 100 ans de peinture au Maroc que l'on fréquente comme si l'on visitait un musée. De Mohamed Ben Ali R'bati à Abbès Saladi en passant par Mohamed Chebaa, Jilali Gharbaoui, Ahmed Cherkaoui, Chaïbia Tallal ou Mohamed Nabili, Miloud Labied, Mohamed Ben Allal et Mohamed Kacimi, c'est un panorama impressionnant qui s'offre à nous. Quelque soixante-dix artistes étaient ainsi exposés à Genève et le jardinier Ahmed Louardighi dont le pinceau arrosait la toile d'une onde de félicité ne brillait pas moins que Jaques Majorelle tandis que l'univers aquatique d'Abderrahim Yamou ne séduisait pas moins que telle ou telle gerbe de visages ou encore le ruissellement d'une arcade chez Fouad Bellamine. Comment ne pas être impressionné par cette efflorescence des talents et des œuvres en un peu plus d'un demi-siècle ? De grands tempéraments ont produit, souvent avec le seul soutien de la nécessité intérieure, des œuvres qui constituent désormais le cœur vivant du patrimoine artistique national, les arts plastiques ayant ce privilège de signifier quelque chose à tous dès lors qu'on leur accorde une attention libérée des préjugés. Parce qu'il est tout à la fois peintre et écrivain, c'est peut-être Hassan Bourkia qui nous éclairerait le mieux sur la singularité des échanges entre la peinture et l'écrit. C'est d'ailleurs la question qui affleure aussi avec les peintres hantés par la calligraphie et le tatouage. Ils inscrivent un alphabet réenchanté par la liberté de leur invention. A chacun de décrypter ou d'encrypter à sa guise, le regard du spectateur ayant furtivement tout pouvoir ou l'y perdant volontiers, happé par l'œuvre. C'est ce mystère de l'attraction picturale que l'on a retrouvé, non plus à Genève mais à Paris, avec l'exposition conjointe à la galerie Frédéric Moisan, rue Mazarine, dans le sixième arrondissement, des œuvres non contradictoires entre elles du Marocain Youssef Titou et de l'Espagnol Ivan Montero, recommandés tous deux au galeriste parisien par Fouad Bellamine dont Moisan montre les œuvres comme il a aussi bien exposé Saâd El Hassani. Cette attention marquée aux travaux d'artistes-peintres marocains n'a pas toujours été de mise à Saint-Germain-des Prés. Une nouvelle génération de galeristes manifeste heureusement une curiosité plus déterminée. Il y a comme un cousinage silencieux entre les œuvres de Titou et celles de Montero : leur goût de la matière est évident comme leur capacité d'évoquer subtilement un paysage sans en passer par la figuration. Montero qui est né en 1972 a été impressionné lors de ses études en Roumanie par les procédés muraux. Chez lui comme chez Titou, on aime devoir lentement conquérir les formes suggérées, les aplats prodigués, les niches de lumière, la luxuriance ou l'opacité. Titou, qui est né en 1978. Il enseigne les arts plastiques à Imouzzer Kandar. Ivan Montero, natif de Salamanque rencontra Fouad Bellamine au Mexique. Ce sont des peintres que réunit le souci d'offrir matière à penser. On pourrait considérer qu'il s'agit aussi de matière à rêver, d'une utilisation pulsatile de la couleur pour aborder l'intime comme un défi concret. Le regard des artistes est comme une interrogation qui nous serait adressée autant qu'elle s'adresse aux pièces qu'ils produisent. C'est un enjeu métaphasique ? Allons, il suffit que le plaisir de regarder se trouve ravivé. Les deux jeunes peintres associés sur les cimaises de cette galerie parisienne qui a montré naguère l'Egypte de Bernard Guillot et le Mexique d'Alfredo. Vilchis Roque, font vibrer leur palette à des fins heureusement mystérieuses : des paysages intérieurs surgissent, des fractures se devinent, des trouées de lumière s'abandonnent à la volupté du possible. La réunion comme fraternelle des travaux de Youssef Titou et d'Ivan Montero a quelque chose de jubilatoire, quand Titou semble se souvenir de Turner et Montero agiter une bannière de lave dont le volcan demeure abstrait. La vie des peintres ? Ecoutons Alfredo Vilchis Roque dans Rue des Miracles (Seuil, 2003). L'artiste mexicain dont les ex-voto offrent une sorte d'historiographie populaire de son pays se souvenait de ces boulots pendant quelque années, apprenti pour un maçon, apprenti pour un faïencier. Et il écrivait carrément : « Quelle chierie de faire les mélanges. De les monter jusqu'à l'étage où il fallait. Monter les grosses briques... » Le vent tourne : l'ex-apprenti maçon a été exposé au Louvre.