Le réalisateur Kamal Hachkar revient sur l'altérité juive dans « Tinghir Jérusalem, les échos du Mellah », opposant des regards qui mêlent passé et présent. Rencontre. En ces temps de replis communautaires, «Tinghir Jérusalem, les échos du Mellah» est un cri contre l'amnésie et une leçon de pluralité. Kamal Hachkar, réalisateur du documentaire « Tinghir Jérusalem, les échos du Mellah », diffusé sur 2M dans le cadre de la case documentaire « Des histoires et des hommes » et projeté bientôt en compétition au Festival Fidadoc d'Agadir, qui se tiendra du 24 au 28 avril, est de passage à Casablanca. Du Maroc jusqu'en Israël, ce Franco-marocain a fouillé dans l'histoire de la communauté judéo-berbère de la ville de Tinghir. Le cinéaste a interrogé la mémoire musulmane de ceux qui ont côtoyé cette présence juive et retrouve, cinquante ans après, cette communauté désormais dispersée en Israël. Comment avez-vous eu l'idée de partir à la recherche de cette mémoire commune ? Je suis né à Tinghir, dans la vieille ville, dans une maison en terre de pisé, et j'ai quitté le bled à l'âge de six mois, mais je revenais avec mes parents tous les étés. Adolescent, je me suis posé beaucoup de questions sur mon identité et mes origines, étant moi-même fils d'immigrés. J'ai d'abord été marqué par le livre de Edmond Amran El Maleh « Mille an, un jour », qui se demandait comment une communauté aussi enracinée pouvait quitter en quelques jours sa terre. Cette question m‘interpellait aussi. C'est mon grand père maternel dont je suis très proche qui m'a révélé cette présence juive à Tinghir, et ce depuis 3 000 ans. Au départ, il me paraissait inconcevable que des juifs et des musulmans puissent cohabiter ensemble. Ce pan de l'histoire n'est pas enseigné dans les manuels scolaires. Hélas, on construit une génération d'amnésiques. Cette part enfouie de l'histoire doit avoir toute sa place dans les programmes scolaires d'autant que la nouvelle Constitution affirme la pluralité de l'identité marocaine dont la composante hébraïque. 300 000 juifs ont quitté massivement le pays et cela doit nous interroger. Mon film souhaite être un outil au service de notre mémoire. Maintenant, il faut que cette jeunesse marocaine se réapproprie des fragments de cette histoire pour pouvoir en débattre sereinement. Les historiens au Maroc en parlent librement, mais l'amalgame avec le conflit israélo-palestinien crée un climat pollué. Même s'il y a eu des tensions après la création de l'Etat d'Israël, il faut rappeler que les juifs sont au Maroc depuis le VIe siècle av J.C. Certaines tribus berbères ont même été judaïsées puis converties à l'islam avec l'arrivée des arabes. Quelle est la différence entre la version de 52 minutes diffusée sur 2M et la version de 86 minutes qui sera projetée au Fidadoc ? Cette version sera la surprise du festival d'Agadir. Elle a circulé dans les festivals dont celui de Paris et de Montréal, et est plus dense, plus émouvante et montre encore plus la complexité du sujet. La version courte diffusée sur 2M est tout simplement le résultat de la contrainte du format télévisé. Et que pensez-vous de la polémique qui a suivi la diffusion du documentaire sur 2M? Je ne comprends pas cette polémique, on ne peut pas effacer l'histoire juive, et mon film n'est pas un film de jugement. J'ai reçu des milliers de messages me remerciant de la beauté de ce film. Tous les Marocains d'origine juive ont un attachement viscéral au Maroc, la majorité ont gardé des portraits du roi Mohammed VI accrochés sur leurs murs, d'autres vivent toujours avec des théières marocaines et les traditions du pays. Même si la nouvelle génération s'est éloignée de ses racines, ils sont curieux de connaître leurs origines à travers les récits de leurs grands-parents. Comment avez-vous eu accès aux archives qui ont étayé votre film ? J'ai eu recours à la fondation Spielberg à Jérusalem, qui m'a donné accès à des archives filmées sur la vie judéo-marocaine et l'arrivée des Marocains en Israël. J'ai aussi sollicité la bibliothèque de l'Alliance israélite à Paris qui m'a donné accès à plus de mille photos de la vie quotidienne de ces juifs qui ne sont pas suffisamment exploitées, surtout pendant les années 50, des fonds de cartes postales. Vous parlez hébreu, et vous effectuez souvent des périples au Moyen-Orient. Racontez-nous. Oui je suis un militant de la paix, et je milite pour le rapprochement, pour la construction des ponts, non des murs. J'ai appris l'hébreu avec l'association « Parler en paix » où on apprend, étonnamment l'arabe classique et l'hébreu dans un même endroit, ces deux langues étant des langues sœurs et étant toutes les deux issuses de l'araméen. On est tous les enfants d'Abraham, et il y a plein de mots qui sont issus des mêmes racines.