Les déclarations du ministre de la Justice et des libertés Mustapha Ramid, par voie de communiqué, au sujet de l'affaire de la jeune adolescente Amina, suscitent la colère et l'indignation des féministes. Fouzia Assouli, présidente de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes, monte au créneau pour dénoncer ce qu'elle qualifie « d'ingérence » dans les affaires de la justice. « C'est malheureux que ces propos proviennent du ministre de la Justice censé rendre justice aux victimes, et de surcroît d'un ancien avocat », s'indigne cette militante chevronnée des droits des femmes, avant de poursuivre : « Les déclarations du ministre sont scandaleuses car il s'agit d'une ingérence dans les affaires de la justice. L'enquête est toujours en cours et la justice n'a pas dit son dernier mot. Ses déclarations peuvent influencer la justice puisqu'elles sont une affirmation de l'innocence de l'accusé des conséquences de la violence psychologique et physique qu'il a exercées sur la mineure Amina ». Fouzia Assouli rappelle au ministre l'article 109 de la Constitution qui stipule : « Est proscrite toute intervention dans les affaires soumises à la justice. Dans sa fonction judiciaire, le juge ne saurait recevoir d'injonction ou instruction, ni être soumis à une quelconque pression ». Dénonciation et indignation La colère de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes est à son comble. « La mère et le père ont déclaré à 2M que leur fille a été violée sous la menace de l'arme blanche. Amina n'avait que 15 ans au moment des faits. Elle était dans l'enseignement primaire. Les déclarations du ministre sont en contradiction avec les constantes du pays et les engagements pris par l'Etat au niveau international, en ce qui concerne la protection des droits des enfants et les droits des femmes, en bannissant toute forme de discrimination à l'égard des femmes », poursuit-elle. Pour rappel, le ministre de la Justice et des libertés a affirmé par voie de communiqué que « la jeune adolescente Amina entretenait une relation sexuelle avec l'homme qui l'a épousée durant laquelle elle a perdu sa virginité avec son consentement ». Une déclaration qui a fait sortir la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes de ses gonds. « On s'attendait à ce que le ministre rende justice à cette famille pauvre. Si cette dernière était riche, je doute fort qu'il tienne de tels propos ou que le violeur échappe à la condamnation », lance-t-elle. Le père de la victime a également affirmé, dans sa déclaration à 2M, que le violeur a été arrêté par la police et que la proposition du mariage a été faite par le procureur général du roi. Forte mobilisation Par la voix de sa présidente, la Fédération ne compte pas baisser les bras. La mobilisation battra son plein cette semaine. Après les sit-in organisés la semaine dernière à Larache et à Rabat, devant le Parlement, la Fédération prévoit d'organiser aujourd'hui mercredi 21 mars une manifestation à Marrakech devant le tribunal. Un autre sit-in est prévu à Agadir. « Nous allons organiser, demain jeudi 22 mars, une rencontre ouverte avec les parlementaires pour leur présenter notre plaidoyer et une étude sur les politiques menées jusqu'à ce jour par les différents gouvernements qui se sont succédé, notamment sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes, le viol et harcèlement sexuel. Ces stratégies sont toutes éparpillées. Nous exigeons un mécanisme et une loi-cadre efficace pour la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des enfants», ajoute Fouzia Assouli, qui insiste également sur la révision globale du code pénal qui, selon elle, est fondé sur une philosophie et une culture masculine qui protège la société, la famille et la morale au détriment des droits des femmes. La Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes ne fait pas cavalier seul. D'autres associations féminines rejoindront son combat pour la mise en place d'une loi, garantissant aux femmes la jouissance pleine et entière de leurs droits humains. Riposte de Ramid Contacté par la rédaction, Mustapha Ramid a tenu à mettre les points sur les i. « Dans cette affaire, trois enquêtes ont été menées. La première enquête atteste qu'il y a eu viol mais par ruse et non par la force. Dans ces circonstances, le violeur épouse sa victime pour échapper à la prison. La seconde enquête démontre que la jeune Amina a épousé l'homme avec son consentement. Elle n'a pas été obligée. Nous avons les documents qui le prouvent. Ces deux enquêtes ont été bouclées. La troisième enquête qui est toujours en cours vise à déterminer les circonstances du suicide de Amina. En d'autres termes, les enquêteurs mènent leurs investigations pour savoir s'il s'agit d'un acte criminel ». Le CNDH enquête Le Conseil national des droits de l'Homme a dépêché, lundi dernier, une délégation à Larache pour présenter ses condoléances à la famille de la défunte. Leur visite a été également l'occasion pour enquêter sur cette affaire, qui a laissé en émoi toute une nation. Dans un communiqué, cette institution, présidée par Driss El Yazami, a « exprimé sa profonde consternation quant à la subsistance au Maroc de lois qui continuent à dénier toute humanité aux femmes, poussant, ainsi, nombreuses d'entre elles au désespoir ». Contrairement à ce qu'a déclaré le ministre de la Justice, le CNDH affirme que « Amina Filali victime de viol, a été contrainte, suite à un arrangement familial et avec la bénédiction de la loi, à épouser son violeur ». Il étaye ses allégations par les faits rapportés par la presse et confirmés par ses différentes sources. Pour les militants du CNDH, Amina est morte car la loi en vigueur a pêché par deux fois : en autorisant la cessation de toute poursuite contre le violeur qui épouse sa victime (article 475 du code pénal) et en autorisant le juge à marier les mineurs sous certaines conditions (article 20 du code de la famille). Le CNDH interpelle les autorités : « il faut accélérer la promulgation du code pénal révisé, en instance depuis plusieurs années, afin que cette disposition et toutes les autres dispositions contraires à la dignité humaine, à la Constitution, à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard de la femme ainsi qu'à la Convention sur les droits de l'enfant, soient abrogées ». Il pointe également du doigt les dispositions du code de la famille qui donnent le droit au juge d'autoriser le mariage des mineurs. L'UNICEF s'en mêle Le drame de la jeune Amina n'a pas laissé insensible l'UNICEF, qui a appelé, dans un communiqué intitulé « Pour ne pas souiller la mémoire d'Amina », l'Etat marocain à l'application de la Convention des droits de l'enfant. Un pacte international qui pose comme principe dans son troisième article, l'intérêt supérieur de l'enfant et dans son article 12 son droit d'être entendu. Le bureau de cette organisation onusienne à Rabat, rappelle qu'un rapport a été produit par le ministère de la Justice avec l'appui de l'UNICEF et de l'UNFPA, pour renforcer la protection des enfants et des femmes victimes de violence sexuelle, et de renforcer les peines contre les violeurs et ne pas les faire bénéficier de circonstances d'atténuation, y compris l'acceptation de la demande de mariage avec l'agresseur. L'UNICEF tire à boulets rouges sur le système de protection des enfants au Maroc. « Le cas de la jeune Amina est aujourd'hui révélateur des dysfonctionnements dans le système de protection de l'enfant au Maroc qui doivent être pris sérieusement en considération ».