La visibilité en librairie de l'ouvrage des Tunisiens Mohamed Ridha Bouguerra et Sabiha Bouguerra Histoire de la littérature du Maghreb – littérature francophone (édition Ellipses, Paris, 2010), n'a pas été très forte, si bien que je l'ai découvert avec deux années de retard. Ce travail se lit avec intérêt et constituera une introduction ou une initiation à plus d'un demi siècle d'une production devenue fort abondante, chez les éditeurs français plus que chez les éditeurs du Maghreb, et dont on regrette fort qu'elle ne soit pas ainsi comparée aux romans, récits et poèmes des écrivains arabophones, tâche pourtant bien nécessaire. Le volume des Bouguerra étant le fruit d'un effort à quatre mains, que n'ont-ils recherché au sein des universités tunisiennes quatre autres mains pour initier le public francophone à Abou Qassim Chabbi, Mohamed Choukri ou Mohamed Zefzaf… Car, et c'est le moins que l'on puisse dire, toutes ces vies d'écrivains sont, pour reprendre le titre d'un roman de Mohamed Berrada dont la traduction française va paraître en avril chez Actu Sud, des Vies voisines. Le roman de Berrada parle évidemment de toute autre chose que cette coexistence linguistique dans la littérature maghrébine, et Mohamed Ridha Bouguerra, quant à lui, s'il ne dit mot des écrivains arabophones évoque du moins, par exemple, l'importance des chants berbères de Kabylie dans le sentiment de soi et le sentiment du monde que manifestent les œuvres des membres de la famille Amrouche, attachés autant à la Tunisie qu'à l'Algérie . Après tant de travaux consacrés à la littérature maghrébine francophone, qu'apporte l'ouvrage des Bouguerra ? Mieux qu'un survol, une traversée qui dessine un panorama, nomme une bonne centaine d'auteurs et analyse, souvent finement, les œuvres cardinales, celles d'un Kateb Yacine, d'un Mouloud Mammeri et d'un Mohamed Dib, mais n'omet nullement la génération suivante et voit par exemple en Fouad Laroui un continuateur de Driss Chraïbi, non sans montrer son inclination pour les livres d'un Habib Tengour ou encore le roman de Rachida Madani L'histoire peut attendre et celui de Yamina Mechakra La grotte éclatée. Le mérite principal d'un tel ouvrage, outre la mise en perspective d'une efflorescence de titres que le non spécialiste ne saurait tous connaître, c'est le coup de projecteur sur des auteurs non certes inaperçus mais qui justifient une attention particulière. Ainsi apprécie-t-on tout ce qui nous est dit dans Histoire de la littérature du Maghreb – Littérature francophone des premiers romans de Nabile Farès ou encore des écrits si imperturbablement originaux d'un Fawzi Mellah ou d'un Moncef Ghachem, poète et nouvelliste qui remplace la candeur par la lucidité sans qu'en souffre jamais sa petite musique volontaire et comme parfumée aux embruns. Si Mohamed Khaïr-Eddine et Abdellatif Laâbi se voient aussi soigneusement évoqués que Driss Chraïbi, on n'en est pas moins stupéfait de ne pas trouver la moindre mention de l'œuvre de Mohamed Leftah dans un ouvrage qui a pourtant paru en 2010, soit alors que l'œuvre publiée de l'auteur de Demoiselles de Numidie comptait déjà quelque dix titres. Une telle absence est incompréhensible, et c'est vraiment une faute de goût, sauf à supposer, ce qui n'est pas invraisemblable, que les auteurs de cette Histoire de la littérature du Maghreb – Littérature francophone aient en vain réclamé les ouvrages à Leftah à leur librairie tunisoise… En 250 pages, Mohamed Ridha Bouguerra et Sabiha Bouguerra parviennent du moins à vulgariser intelligemment ce qu'ils savent et ce qu'ils aiment de la littérature maghrébine de langue française. On pourra les considérer peut-être à bon droit comme un peu trop prolixes lorsqu'il s'agit de commenter l'irrépressible graphorrhée de Leila Sebbar, mais ils rendent justice aussi bien à des œuvres déjà entamées il y a un demi-siècle qu'à des « jeunes pousses » de grand talent comme Arezki Metef ou Aziz Chouaki. Jamais rébarbatif, cet ouvrage bien informé et bien écrit sur le « french dream » (comme dirait Mohamed Hmoudane, malencontreusement non-cité) des écrivains maghrébins, comment ne pas répéter qu'il y manque un pendant indispensable: Une histoire de la littérature du Maghreb-littérature arabophone et berbérophone où seraient étudiées la littérature moderne et aussi la littérature populaire?