Postées aux alentours du marché central du quartier Agdal de Rabat, plusieurs femmes attendent chaque matin que la chance leur sourit. Qu'une voiture s'arrête pour les engager, le temps d'une journée, en tant que femme de ménage. Le Soir échos est allé à leur rencontre. Il est 8h30. L'allée faisant face au marché central du quartier Agdal est presquedéserte. On s'active peu à peu, même si les gestes des commerçants sont encore lents. L'hiver n'est pas étranger à ce manque de vivacité ambiant.En passant par là, il est difficile de ne pas les remarquer. Quelques groupes de femmes en djellaba se tiennent à l'intersection de chaque rue. Seules, ou en groupes de deux ou quatre, elles discutent. Pour faire passer des minutes qui leur paraissent souvent longues. Lorsqu'une voiture passe à leur hauteur, elles font un geste à l'automobiliste, mimant une main qui essuie. « Je peux faire le ménage », disent-elles par ce geste. Les voitures ne ralentissent pas et poursuivent leur route. Peur de la shouha En nous rapprochant du premier groupe de femmes, le rejet est immédiat. « Je n'ai rien à dire , c'est la première fois que je viens ici, je ne veux pas d'histoires, mes enfants ne savent pas que je viens ici ». Le mot « shouha » (honte) est vite lancé, et même une promesse d'anonymat n'y fait rien. Elles cachent leur visage par peur de la présence d'une caméra cachée. On comprendra plus tard les raisons de cette méfiance. Bienvenue au Moukef, marché informel des femmes de ménage ! Khadija, une solitaire occupant un coin stratégique en face du marché central, semble plus sereine. Elle nous tend un bout de carton pour nous inviter sur son bout de trottoir. Cela fait dix ans qu'elle tente sa chance ici. « Mon mari est retraité et ne perçoit que 1.500 dirhams par mois. Mes deux enfants ne travaillent pas. Si je viens ici, c'est pour qu'ils n'aient pas à venir chercher du travail dans la rue comme je le fais depuis toutes ces années ». Khadija s'est réveillée à 5 heures du matin, et a dû prendre quatre bus avant d'arriver ici. « Je vis à Kariat Ba Moussa, et il arrive que tout mon argent parte dans le transport et dans le petit déjeuner que je m'offre en arrivant. Avant que je ne reparte bredouille chez moi le soir ».Ici, tout est une question de chance. Ces femmes espèrent que quelqu'un s'arrête pour louer leurs services. Celles du Moukef travaillent souvent pour la journée. Certaines, plus chanceuses, arrivent à se constituer un carnet d'adresses, avec des habitués. Une question de feeling Mais comment reconnaître le client honnête du client véreux ? « C'est une question de flair », nous lance Khadija. « Hier, un homme s'est arrêté ici. Et c'était évident qu'il ne cherchait pas une femme de ménage ». Le bruit court que le besoin d'argent pousse certaines d'entre elles à monter avec des hommes, acceptant de faire autre chose que le ménage…Aïcha, elle, ne peut s'empêcher de constater que le flair ne suffit pas. Cela fait 14 ans qu'elle propose ses services dans le coin. « Même quand on pense être montée dans la voiture d'une personne honnête, il est possible de se faire avoir ». Elle se souvient d'une cliente à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. « Elle m'a emmené dans sa maison à Hay Riad. Je l'ai nettoyé de fond en comble. Lessive, vaisselle, cuisine, matelas,…Tout y est passé. A la fin de la journée, elle m'a chassé de chez elle sans me donner le sou ». La malhonnêteté n'a pas de visage. Se tenant à l'écart, une vieille femme, assise sur une caisse en bois, fixe le café au lait qui lui réchauffe les mains. Mina est la doyenne du coin. « Cela fait vingt ans que je travaille ici. A chaque jour son lot de surprises », nous lance-t-elle avec un sourire éteint. Mina est veuve. Ses quatre enfants tentent de l'aider tant bien que mal, mais elle continue tout de même de venir ici. La peur du Makhzen Peu à peu, les langues se délient et la confiance commence à s'établir avec les femmes du Moukef. Elles nous avouent craindre les descentes de police. « Il arrive, de temps en temps, que des fourgonnettes viennent ici pour nous embarquer », nous raconte Khadija. « On vient juste pour travailler, qu'est-ce qu'ils veulent de nous ? » s'exclame-t-elle.D'autres évoqueront la triste destination de ces fourgonnettes. « Ils nous emmènent dans le centre social de Aïn Atiq, comme si nous étions des mendiantes ou des aliénées », se désole avec colère l'une de ces femmes. Il arrive même que l'on fasse preuve de subterfuges pour les mener vers la fourgonnette tant redoutée. « Une fois, une femme s'est fait passer pour une cliente, et a prétendu avoir besoin d'une femme de ménage. Sauf qu'une fois à l'écart, elle a saisi sa victime par le bras pour l'introduire de force dans la fourgonnette », se rappelle Aïcha, qui a assisté à la scène. A la fin de la journée, chacune reprend son sac et ses bus, ramenant son butin à sa famille, qui constitue souvent leur unique moyen de subsistance. Elles reviendront demain, et les jours qui suivent, embarquant avec elles une crainte mêlée d'espoir.