Le Syndicat national des journalistes tunisiens à lancé un appel à manifester lundi dernier, contre des nominations à la tête des médias publics faites par le Premier ministre. Le Soir échos était sur place. Il est dix heures lorsque les premiers manifestants comment à affluer à la Casbah, place où se côtoient les sièges des principaux ministères, et désormais célèbre depuis le fameux sit-in organisé après la fuite de Ben Ali contre le gouvernement Mohammed Ghannouchi, sous un ciel nuageux qui annonçait l'imminence d'un orage. Jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, descendaient des 4 rues qui menaient à la Kasbah, et ce dans une ambiance plutôt bon enfant. Organisée par le Syndicat national des journalistes tunisiens, la manifestation vise à condamner des récentes nominations faites par le Premier ministre Hemmadi Jebali. Celui-ci avait, deux jours auparavant, mis à la tête des principaux médias publics tunisiens (TV, presse écrite, radio) des personnalités controversées, puisqu'elles ont, selon les manifestants, collaboré avec l'ancien régime. Parmil les personnalités présentes lors de ce sit-in, Nabil Karoui, président de la chaîne privée Nessma, Il est 11h quand les premières pancartes sont brandies, et le ton est donné, puisqu'on a pas trop de mal à voir des « Dégage » presque sur toutes les pancartes. Au cri de « les médias publics sont publics et non gouvernementaux », journalistes, acteurs de la société civile, et hommes politiques ont tous crié leur colère envers les dernières nominations. Plus que l'acte de nominations, puisque c'est au Premier ministre Hemmadi Jebali de nommer les directeurs des organes des médias publics, les manifestants sont scandalisés par les personnalités nommées, « ce sont des suppôts de l'ancien régime. Ils ont servi l'appareil de propagande de Ben Ali. Ennahda montre encore une fois qu'elle ne veut pas casser l'ancien régime », fait part une jeune journaliste en colère, avant d'ajouter « Ce sont des nominations qui ont été faites sans aucune concertation, ni avec la société civile ni avec les journalistes qui sont les principaux concernés ». Achref, un jeune étudiant, venu manifester sa solidarité envers les journalistes, livre lui aussi ses impressions, « ce sont des anciens du RCD. On n'arrive pas à comprendre l'intention de Jebali ». « Les médias publics sont publics et non gouvernementaux ». Jebali, nouveau dictateur ? En face des manifestants, une cohorte d'une cinquante d'hommes s'attaque verbalement aux manifestants, les comparant à des « traitres et des suppôts de la France et des sionistes ». Ces manifestants sont bien évidemment des sympathisants d' Ennahda, qui eux aussi ont décidé de faire leur contre-manifestation. Les insultes fusent entre les deux camps, des « Jebali dégage ! » commencent même à se faire entendre. L'autre slogan teinté d'ironie crié lors de la manifestation vise Ettakatol, un parti de gauche membre de la majorité dirigée par Ennahda, c'est ainsi que les contestataires criaient à tue-tête, « Saha lahya ya Takattol », une manière de se moquer de l'alliance contre-nature qui lie Ettakatol à Ennahda. D'autres manifestants vont encore plus loin en scandant « le peuple ne veut pas d'un nouveau dictateur ! », comparant le nouveau Premier ministre au dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali. Selon Ahmed Benabdallah, membre du Syndicat des journalistes et présent lui aussi lors de la manifestation, les journalistes s'offusquent contre trois grands signaux envoyés par Ennahda, « la nature des nominations, les interventions musclées de la police contre les journalistes, et un interventionnisme grandissant du gouvernement dans les médias publics ». RSF s'en mêle Au fort de la manifestation, ils n'étaient pas plus de 300. Un important cordant sécuritaire était placé entre les deux groupes de manifestants, le sit-in s'est toutefois déroulé dans le calme, et à la mi-journée, manifestants comme contre-manifestants commençaient à quitter les lieux, la météo se faisant de plus en plus menaçante. Le lendemain, une bonne partie de la presse tunisienne revenait sur l'événement, et la plupart solidaire avec les manifestants. L'association de défense des journalistes Reporters sans frontières à quant à elle publiée un communiqué condamnant les nominations de Jebali : “A l'heure où le parti Ennahda accuse les médias de ne pas être en phase avec les aspirations populaires, nous nous interrogeons sur les réelles motivations de ces nominations. Les liens avec l'ancien régime de Ben Ali des personnes choisies à des postes clés, ne favorisent pas la rupture avec l'ancien système médiatique inféodé au pouvoir politique et jette le doute sur une volonté de mainmise de ces médias par les dirigeants actuels”, pouvait-on lire sur le communiqué. Trois questions à Nabil Karoui,patron de Nessma TV Il y a eu un sit-in devant la casbah, pour condamner les nominations de Jebali aux différents organes médiatiques de l'Etat, qu'en pensez-vous ? J'y étais. Le Premier ministre a parlé de «médias gouvernementaux». Je ne sais pas si c'est de l'ignorance ou si c'est plutôt stratégique. Ces gens-là ne font pas la différence entre les médias gouvernementaux et les médias publics. La télé publique nous appartient à nous aussi ; c'est avec nos impôts qu'elle fonctionne. Elle représente les 11 millions de Tunisiens, et pas le gouvernement en place. Je crois que le modèle ultime d'Ennahda, c'est le modèle de Ben Ali, ils veulent le reproduire, avec des médias publics à leurs bottes, mais ils oublient aussi qu'il y des médias privés, et ça c'est un autre problème ! On a l'impression que la véritable opposition en Tunisie se situe dans la rue et dans les médias, pensez-vous que c'est suffisant ? Non, pas du tout. Aujourd'hui, on assiste à un regroupement de l'opposition pour essayer de créer un contre-pouvoir au gouvernement Ennahda. Finalement, Ennahda n'a eu que 35% des voix, ça veut dire que les 65% d'entre eux ne l'ont pas fait. Ennahda a profité de l'éparpillement des voix. En plus de ça, ce n'est que la moitié des électeurs qui est allée voter, et un bon tiers des bulletins a finalement compté pour du beurre. Comment voyez-vous cette majorité, a priori hétéroclite ? C'est une coalition contre-nature. C'est un attelage imparfait en fait, et qui ne va pas durer longtemps, c'est clair !