D'abord, on s'est enquis d'un ouvrage composé avec le plus grand soin par Hassan Hadjadji et André Miquel qui associèrent leurs talents, en 2002, pour nous donner une traduction des poèmes d'Ibn Khafâdja l'Andalou aux éditions El Ouns, à Paris. Celles-ci privilégient une production bilingue arabe/français, français/arabe, berbère/français et français/berbère. Elles poursuivent l'effort de rendre accessibles les textes originaux de poèmes du passé. De telles publications en juxtalinéaire sont évidemment d'utiles outils pédagogiques mais elles ajoutent au plaisir de tout lecteur, invité à se frotter, s'il le peut, au texte original et à tenter de mesurer la justesse, l'efficacité ou la grâce des options choisies par les traducteurs. André Miquel nous prévient : « Le vin, mêlé de quelque gouttes d'eau, évoque deux chevaux alezan et pie ; la colombe, selon les inflexions de son chant, l'amour ou la tristesse de la séparation, cette dernière étant annoncée par le corbeau ; les dents de l'aimée, l'éclat de la perle ; sa salive, les délices du vin, ou de l'eau la plus pure ; la pleine lune, la beauté parfaite… ». Ayant opté pour le vers français classique, les auteurs de cette traduction d'Ibn Khafâdja, né en 450/1058 à Alcira (Espagne), poète andalou connu comme l'amant de la nature, nous le font découvrir qui oscille entre une angoisse fiévreuse et une effusion vécue dans l'exaltation avant de se changer en souvenir : « Et maintenant je me retourne éloigné d'elle, / Déposant mes baisers sur ces traces de myrte./ Aurore de malheur qui enlaidit l'aurore ! / Hélas, nuit du bonheur, quand me reviendras-tu ? ». Edmondo de Amicis (1846-1908) peut nous conduire à Séville tandis qu'Abû Ishâq Ibrahim, passé à la postérité sous le nom d'Ibn Khafâdja, naquit à Djazîrat Shuqr, à une vingtaine de kilomètres de Valence. De Amicis fut un grand journaliste qui publia en 1876 son reportage documentaire sur le Maroc et en 1889 le magnifique Sur l'Océan, reportage témoignant de l'émigration italienne en Amérique du Sud , écrit sous la dictée du réel. On peut en lire un extrait dans mon anthologie Littératures méditerranéennes et horizons migratoires (La Croisée des chemins, 2011). C'est un texte véritablement saisissant. Le volume Vertiges de l'amour (éditions de l'Arbre vengeur, 2005) est évidemment d'une toute autre tonalité. Il contient deux histoires d'amour traduites de l'italien par Lise Chapuis et Thierry Gillyboeuf : Manuel Menendez et Carmela. Dans Manuel Menendez que Lise Chapuis présente justement comme une « estampe sévillane de l'amour violent ». Fermina est l'obsession de Menendez : « Ses yeux noirs et tristes et les très grands sourcils qui se touchaient, donnaient à son visage au teint mat, à la morphologie quelque peu mauresque, une expression proche de la menace qui se changeait tout à coup en une douce gaieté sitôt qu'elle entrouvrait ses lèvres humides et mobiles ». L'élue ? Chez Ibn Khafâdja l'Andalou, on lit : « Je suis près d'elle le matin, et puis le soir, / Je cours de la montagne aux rencontres d'amour : / Là m'attendent un sein pointé comme une lance, / Les baisers, chevaux fons sur l'arène des joues, / Les blanches fleurs que mon désir goûte à sa lèvre / Et ce corps, sous ma main, comme un roseau qui ploie». Fermina est une sorte de cantatrice envoûtante mais qui est porteuse d'une mise en grade : « Je ne suis pas de celles qui pardonnent. Si on sort une fois de mon cœur, on n'y rentre plus. Fermina t'a dit une fois qu'elle t'aimait : cela te suffit pour toute la vie. Imprime-toi bien ces paroles au fond de l'âme, Menendez». Alors ? Edmondo De Amicis est formel : « Ils s'aimaient, et tout Séville le savait, ou plutôt le voyait». D'Ibn Khafâdja, Hamdane Hajadji nous dit qu' « il apparaît comme un jouisseur délicat, doué d'une grande sensibilité, de goût raffiné. En un mot, comme un admirateur de la beauté ». Le thème de l'amour est largement représenté dans la poésie de celui qui célèbre champs, montagnes et collines, vallées et rivières. La chute du récit dédié par Edmondo de Amicis à l'amour unissant Manuel à Fermina est terrible. C'est que le soupçon la jalousie, l'incertitude ont envenimé la relation amoureuse : « Dans un excès de jalousie, ayant offensé mortellement sa fiancée par un billet infamant, et n'étant pas parvenu à se faire pardonner et aimer à nouveau, il obtint l'une et l'autre chose en lui présentant une petite cassette dans laquelle se trouvaient la plume qui avait écrit le billet, cassée en deux morceaux ; sous la plume, une feuille de papier sur laquelle était écrit en lettres de sang ; ‘‘Expiation'' ; et sous la feuille de papier sa main droite… ». Lire Vertiges de l'amour par Edmondo de Amicis, c'est donc ne plus pouvoir tout à fait regarder sa main droite de la même façon !