Emir Kusturica, président du 11e FIFM, nous surprend encore. Acteur du court-métrage Alice au pays s'émerveille, il a proposé à la cinéaste de cet opus d'explorer les voies nouvelles de la représentation filmique des Balkans. Il était une fois une réalisatrice, son synopsis, sa note d'intention, ses comédiens, son équipe technique et sa production, absente de son projet car inexistante. La crise, qui était passée par là et avait sérieusement affecté le circuit du court-métrage en France, aurait pu décourager la cinéaste Marie-Ève Signeyrole à mener à bien l'histoire d'Alice au pays s'émerveille. Cette réalisatrice, qui souhaitait tourner son film sur les bords du périphérique parisien, rêvait de réunir aux côtés des comédiens français, Caroline Frossard, Sophie Le Tellier, Christian Mullot, le prince des Balkans, Emir Kusturica… On sait l'importance du cinéma des Balkans, l'un des plus innovants qui nous parvient après avoir été relégué à l'arrière-plan, suite à une décennie noire marquée par des conflits armés et la partition de l'ex-Yougoslavie. Un cinéma issu de cette région et qui renaît de ses cendres, se déclinant en cinémas serbe, croate, bosniaque, macédonien, monténégrin et slovène. Des noms comme Aïda Bégic, réalisatrice de l'excellent Snow, Mila Turijlic, ayant signé le documentaire Cinéma communiste, ou encore Damjan Kozole, auteur de Slovenian Girl, opus qui explore la prostitution estudiantine, s'alignent à présent, à côté de Kusturica, Manchevsky et Zilnic. Entre guerre et paix Once upon a time donc, Emir Kusturica, en digne cinéaste majeur des Balkans, magnanime et généreux, accepte de jouer dans le film de cette cinéaste française, à condition qu'elle exauce son souhait : venir filmer à Belgrade. L'histoire française va s'imbriquer à l'histoire serbe : perdu au beau milieu des Balkans, un flic français, qui veut revenir sur les traces de son village, et de son enfance après la guerre, fait ce voyage accompagné de deux bombes à retardement… sa femme enceinte et sa maîtresse. En plein blizzard, ce trio atypique se retrouve bloqué à une frontière imaginaire où il « pleut des corps ». Loin d'être surréaliste, Alice au pays s'émerveille, prend sens sur le plan thématique, les dégâts de la guerre sur les corps et les esprits, représente un thème majeur dans les films de la région. Le bel et intriguant ouvrage, d'une durée de 27 minutes, met en scène acteurs français et serbes, Emir Kusturica, son chef costumier, Nebojsa Lipanovic, et Kohki Hasei, dont le portrait rappelle celui d'une miniature mongole. Six personnages incarnant un univers et une composition inattendue pour cette drôle d'histoire, sur une musique bien sentie signée par Clément Signeyrole. L'histoire dans l'histoire se poursuit Un autre homme, alors précieux confident de Marie-Ève Signeyrolle, intervient dans la fabrication de ce récit, susceptible de se situer dans les montagnes balkaniques : Pierre-Emmanuel Le Goff. Pétrie de ressources malgré les temps de féroce crise, il a une idée de génie : le principe du financement participatif, seul moyen de toucher le plus grand nombre. Sous l'angle de l'humour, la réalisatrice et Pierre-Emmanuel Le Goff, futur producteur, se filment avec un de ses homologues, déshabillés, mis à nu pour dire l'ampleur de la situation économique catastrophique du budget de ce film et l'urgence de le réaliser. Ils proposent aux internautes de contribuer au financement d'Alice au pays s'émerveille, en devenant le plus petit producteur du monde ! « On a obtenu au final 70 000 euros, le film a coûté au total 100 000 euros. Nous avons travaillé avec une partie de l'équipe technique de Kusturica, des types qui sont de véritables forces de la nature par – 30 degrés en décor naturel, un studio spécialement conçu par Emir Kusturica au cœur des montagnes des Balkans», a confié Pierre-Emmanuel Le Goff, au Soir échos. Le septième art n'a décidément pas fini de s'inscrire entre rupture et continuité, entre humour et dérision.