M'Barak Amer, juriste, spécialiste en urbanisme, éclaire, pour Le Soir échos, les zones d'ombres entourant les procédures d'expropriation et explique les raisons des vides juridiques existant en la matière. Après 10 ans, un lot de terrain exproprié pour utilité publique en vue de construire une école publique à la préfecture de Hay Hassani, est récupéré par son propriétaire. Ce dernier le vend à un promoteur immobilier. Un changement de main qui n'est pas le seul. Le lot de terrain en question n'est plus dédié à l'enseignement mais à l'habitation. Des villas y ont été construites. Cette métamorphose est au cœur d'une polémique entre divers intervenants. Eclairage avec M'Barak Amer, spécialiste. À la lumière de ce qui a été soulevé dernièrement, comment se pose, à votre avis, la problématique des terrains privés réservés à l'édification des équipements publics ? Sur le plan des concepts, la question est toute simple. Ce sont les manipulations pratiques qui la rendent complexe voire, parfois, scandaleuse. À la base, il y a les documents d'urbanisme – les P.A. notamment – qui, dans leurs prévisions, réservent des terrains à l'édification des équipements publics – enseignement, santé, services administratifs etc. La question obéit à un cadre technico-juridique précis qui ne laisse, en principe, aucune place à la prolifération de pratiques louches dans ce domaine : les terrains privés que réserve le plan d'aménagement à des emplacements d'édifices publics futurs sont déclarés d'utilité publique avec l'approbation, par décret, du document d'urbanisme. À partir de là, l'Etat, les collectivités locales et/ou leurs démembrements ont un délai légal pour réaliser leurs projets. La procédure suivie est celle de l'expropriation pour cause d'utilité publique dont les termes sont légalement clairs et précis – engagement de la procédure, indemnisation des propriétaires, prise de possession… Présentée ainsi, la question des terrains privés réservés à des projets publics parait simple. Mais pourquoi elle fait-elle tellement de remous ? C'est parce qu'elle n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. D'aucuns lui trouvent un caractère injuste propre à la nature de la planification urbaine. Certaines contraintes des plans d'urbanisme sont regardés comme une fatalité qui frappe les uns et épargne les autres. Dans un ordre plus pratique, il y a aussi l'occupation sans forme ni titre des terrains, la lourdeur des procédures quand elles sont utilisées et surtout l'insatisfaction des propriétaires quand l'indemnisation leur est proposée. Ce que l'on observe également, c'est aussi et surtout l'incapacité de l'Etat et des collectivités locales à accorder la cadence des réalisations des équipements publics avec le rythme de l'urbanisation dont l'évolution échappe à toute rationalité. Toute la cacophonie qui prévaut dans ce domaine vient de ce décalage. En effet, l'Administration ayant un délai pour réaliser ses projets, se voit, à défaut de s'être exécutée à temps, contrainte de garder la main sur des terrains dont elle n'a pas encore pris possession. Consciente de l'«incorrection» d'un tel comportement, l'Administration recourt à des pratiques aussi nombreuses que variées, souvent improvisées et fonctionne, dans ses rapports avec les propriétaires, sans référentiel précis. S'il est vrai qu'une circulaire de la Primature, datée du 12 mai 2000, devant le flot des requêtes soulevées à ce sujet, a tenté d'accorder un intérêt à la question, force est de reconnaître qu'elle a esquivé le problème en le soumettant à des instances sans réel pouvoir en préconisant, dans des termes très généraux, la négociation et la conciliation des intérêts publics et privés. Le cas de Hay Hassani a été qualifié, à la fois, de scandaleux et d'ordinaire. Comment le voyez-vous ? C'est un cas qui révèle l'une des variantes des pratiques que j'évoquais précédemment. Sauf que, dans cette affaire, il s'agit, au bout du compte, d'une restitution pure et simple du terrain initialement prévu pour la construction d'un futur établissement scolaire. Sur ce cas on peut , au moins, soulever deux observations : le «protocole d'accord» est-il vraiment la formule idoine dans ce cas d'espèce, surtout quand on sait que les parties du protocole n'ont pas les compétences requises en matière d'urbanisme et n'ont donc pas à donner la main-levée sur des terrains privés frappés de servitude ? Hormis la question de compétence, une jurisprudence soutenue voudrait que, en pareil cas, la partie privée se substitue à l'Etat pour réaliser un projet de même nature mais à caractère privé. Cela est le travail de la commission locale citée dans la circulaire du Premier ministre citée auparavant. Quels sont, à votre avis, les solutions à ce type de dysfonctionnements qui heurtent frontalement les principes de transparence dans la gouvernance des affaires locales ? Il y a effectivement beaucoup à dire sur les questions de gouvernance locale. Je me dois de limiter mes propos aux questions d'urbanisme où les enjeux sont importants, nombreux et parfois graves. Il y a longtemps qu'on a relevé que la planification urbaine avec ses outils et sa logique actuels est inopérante. L'urbanisation de nos villes en témoigne. Je souhaite que dans la nouvelle dynamique des réformes pour un Maroc moderne, la question de l'urbanisme et de l'urbanisation ne soit pas marginalisée. C'est un chantier qui doit impliquer tous les acteurs dont certains, peut être, auront du mal à se détacher du beau rôle qu'ils jouent, maintenant.