Pour Fatna Afid, 1ère secrétaire générale de l'Organisation démocratique du travail (ODT), la marche des Marocaines pour la parité s'annonce longue. Tant que l'Islam politique trouve un terrain fertile nourri d'ignorance et d'analphabétisme. Militante syndicaliste et féministe, Fatna Afid, 1ère secrétaire générale de l'Organisation démocratique du travail (ODT) et présidente de l'Association femmes pour l'égalité et la démocratie, réagit à la récente sortie du PJD. Pour rappel, ce parti a dénoncé, il y a quelques semaines, la levée des réserves sur la CEDAW et plus particulièrement sur son article 16 lié au mariage, s'attirant les foudres des féministes. Pour Fatna Afid, ce genre de polémique relève désormais des coutumes des islamistes à l'occasion de l'approche des élections. Cette militante accuse les islamistes de poursuivre leurs tentatives pour monter l'opinion publique contre la cause de la femme. Fatna Afid estime, dans cet interview, que la parité ne sera pas acquise tant qu'il n'y a pas de séparation entre l'Etat et la religion. Nouvelle sortie, nouvelle polémique, le PJD estime que l'article 16 de la CEDAW s'oppose à la « Chariâ ». Qu'en pensez-vous ? Ce qui me dérange et m'indigne à la fois c'est qu'on se permette toujours de parler au nom de la femme. Nous avons milité, pendant de très longues années, pour que la voix de la femme quelle que soit sa catégorie ou son appartenance soit entendue. Et pourtant, à chaque fois que les élections approchent, la situation de la femme est à nouveau exploitée pour nourrir les polémiques, dont celui d'aujourd'hui. A mon sens, le réel danger qui fait obstacle aux sociétés et non seulement aux femmes c'est l'Islam politique. Au moyen de l'utilisation de la religion à des fins politiques, ce dernier favorise la discrimination à l'opposé de toutes les conventions internationales des droits de l'Homme et de notre religion qui est d'abord une croyance personnelle. S'opposer à un article de la CEDAW, dans ce contexte, c'est s'opposer à la parité et donc à la démocratie, à la modernité et aux droits de l'Homme reconnus par la Constitution. A l'origine de ce paradoxe se cache le but de s'accaparer du pouvoir en exploitant la religion. C'est pourquoi il relève de la logique, pour moi, de militer pour séparer la religion de l'Etat et mettre en œuvre un Etat civil. Vous êtes militante associative et féministe, quelle évaluation faites-vous de la position des islamistes vis-à-vis de la question de la femme au fil des années ? A chaque fois que le mouvement féministe veut avancer d'un pas, il se retrouve face aux islamistes. Mais curieusement, ces mêmes islamistes qui s'agitent contre l'évolution de la femme restent inertes lorsqu'il s'agit de la généralisation de l'éducation ou de la santé maternelle. Pas toutes les femmes ont la chance d'accoucher à l'hôpital, plusieurs d'entre elles n'ont ni logement ni travail, alors que d'autres traversent encore des kilomètres pour ramener de l'eau ou quittent leur pays pour subvenir aux besoins de leurs familles. Elles sont exploitées, méprisées, humiliées, victimes de violences au sein de la famille, dans la rue et au travail. A ces femmes, les islamistes ne pensent pas utile d'organiser des campagnes. Tout au contraire, ils profitent de leur salaire de parlementaires et oublient l'urgence, pour les femmes, de construire des hôpitaux et des écoles. Ils attendent juste que l'occasion se présente pour monter l'opinion publique contre le mouvement féministe comme ils ont déjà tenté de le faire contre la stratégie nationale d'intégration de la femme dans le développement et contre la moudaouana. Les islamistes exercent la politique et c'est leur droit, mais qu'ils exploitent l'Islam que nous partageons tous, ce n'est certainement pas leur droit. Il est temps qu'ils arrêtent leurs tentatives d'exploiter les principes de la « Oumma » à des fins de marketing. «Les islamistes ne croient ni à l'équité ni à la parité». Après l'approbation unanime de la Constitution, pourquoi la parité, pourtant reconnue dans ce texte, pose autant de problèmes aux islamistes ? En toute simplicité, les islamistes ne croient ni à l'équité ni à la parité. Ils n'ont décidé d'ailleurs de proposer des candidates de leur parti qu'après avoir compris qu'ils n'avaient pas d'autre choix. Sinon, ils se seraient attirés la foudre des femmes islamistes. La parité n'est respectée ni par les islamistes ni par le gouvernement d'ailleurs. De part ma longue expérience, je suis convaincue que la marche des Marocaines pour la parité s'annonce longue. Tant que l'Islam politique trouve un terrain fertile nourri d'ignorance et d'analphabétisme, il demeurera un danger aux droits de la femme. Si l'Etat prenait ses responsabilités vis-à-vis du développement social et économique en faisant profiter tous, nous aurions alors réussi à mettre un terme à l'exploitation de la religion. Qu'attend le mouvement féministe marocain des prochaines élections ? Personnellement, pas grand-chose suite à cette décision dérisoire de mettre en place une liste nationale partagée entre les femmes et les jeunes. Nous sommes contre cette liste parce qu'elle n'aboutira pas à la parité. Nous continuons à revendiquer ce principe et que les femmes aient droit à la tête de liste dans 50% des circonscriptions. Cela veut dire que sur 395 circonscriptions, chaque parti devra présenter un nombre de candidates équivaut à la moitié. Ce que nous vivons, aujourd'hui, comme transition n'est pas au service de la cause féministe. Nous continuerons à nous battre et à rester vigilantes quant aux réactions de l'idéologie obscurantiste.