Le projet de train à grande vitesse a fait couler beaucoup d'encre. Une seule question revient sur toutes les lèvres : le Maroc a-t-il vraiment besoin d'un tel projet ? Le feu vert au lancement des travaux de l'un des projets les plus « révolutionnaires » du Maroc a été donné hier à Tanger, en présence du roi Mohammed VI et du président français Nicolas Sarkozy. Le projet de TGV (Train à grande vitesse) reliera la ville de Tanger à celle de Casablanca pour une mise en exploitation prévue en 2016. Il contribuera à diminuer de moitié le trajet entre les deux villes. Une bonne nouvelle pour les usagers de cette ligne ! Sauf que son financement qui coûtera la bagatelle de 20 milliards de dirhams enflamme le débat. Et c'est là où le bât blesse. Trop cher, énorme, exorbitant… les qualificatifs ne manquent pas pour les détracteurs de ce projet. Mohamed Najib Boulif, économiste au sein du PJD, reste inquiet quant à la réalisation de cette ligne TGV. « Le projet de TGV, c'est bien. Mais, a-t-on vraiment besoin d'un TGV au Maroc en ces temps de crise ? », se demande-t-il. Selon lui, avec un taux d'analphabétisme de plus de 35 %, l'Etat devrait avoir bien d'autres chats à fouetter que de « claquer » une somme astronomique dans un projet dont la rentabilité n'est pas certaine. «Il n'y a pas eu d'étude d'impact. On ne sait pas si ce projet sera réellement bénéfique pour le Maroc ou pas. S'il va créer des opportunités financières et économiques. On ne sait pas encore si sa tarification sera accessible au citoyen lambda… ». Autant de questions qui restent en suspens pour Boulif. «Si le projet était réellement rentable, pourquoi la France y est déficitaire ?» Mohamed Najib Boulif, économiste au sein du PJD. En effet, ce projet s'inscrit dans un besoin de modernisation de l'infrastructure ferroviaire marocaine, certes. Mais il conviendrait que l'Etat réponde à ces questions sans se baser sur des prévisions seulement. Le hic, c'est que la plupart des personnes sondées et des économistes de la place sont certains que les contours de ce projet son biaisés par les relations diplomatiques franco-marocaines. «C'est un projet politique, plus qu'autre chose. Il s'inscrit plus dans un objectif de consolidation des relations politiques entre le Maroc et la France que celles économiques », déplore Boulif. Ceci dit, tout le monde n'est pas contre un TGV marocain. « Je suis pour ce projet. Il y aura beaucoup d'opportunités. De plus, avec l'essor de la région de Tanger, les professionnels seront satisfaits par un trajet moins lent, et ça contribuera à la création de richesses. Vous savez, si on refuse un tel projet, on tombera dans le scénario des années 1970 lorsqu'on était contre la construction des autoroutes. Vingt ans après, on s'est rendu compte qu'on avait tort. C'est le bon timing ! », nous commente Ahmed Azirar, président de l'Association marocaine des économistes d'entreprises. En défendant le projet du TGV, Azirar a cité une étude de faisabilité et de rentabilité qui démontre que le Maroc a beaucoup à gagner s'il optait pour un tel moyen de transport. Sauf que, pour Boulif, il n'y a pas eu d'études fiables qui démontrent ce constat. « Si le projet était réellement rentable, pourquoi la France y est déficitaire ? Ceci tout en sachant qu'elle le subventionne à hauteur de 50 % par billet moyen de 75 euros… », se demande Boulif. En effet, en 2008, la Cour des comptes française a produit un rapport d'évaluation de l'exécution du projet « TGV Méditerranée». Dans ce rapport, on pouvait lire : «Le bilan, encore provisoire, du TGV Méditerranée montre que le bénéfice actualisé paraît proche de zéro, aussi bien pour la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) que pour l'ensemble de la collectivité nationale ». Voilà ce qu'il fallait démontrer. Sur le registre des questions qui restent en suspens, figurent celle du prix du ticket, la capacité du Maroc à rembourser les prêts à partir de 2015, le transfert du savoir-faire d'Alstom qui, rappelons-le, a remporté le marché du TGV sans appel d'offres. Ce qui a fait grincer des dents des Allemands, leur faisant renoncer à un prêt de 400 millions d'euros destinés au projet. De plus, si la France le finance à hauteur de 10,1 milliards de dirhams, elle n'octroiera au Maroc que 825 millions de dirhams, notamment en dons de l'Etat français. Dernier questionnement : pourquoi la Banque européenne d'investissement (BEI) a-t-elle refusé de financer le projet après l'avoir étudié ? Un mimétisme qui en dit long sur les enjeux d'un projet que tout le monde qualifie de politique. Le contribuable exige des réponses. Sur les 20 milliards que coûtera ce projet, les français financent à hauteur de 920 millions d'euros (plus de 10 milliards de dirhams). Le Budget de l'état participe à hauteur de 4,8 milliard de dirhams et le Fonds Hassan II verse 1 milliard de dirhams. De son côté, le Fonds saoudien intervient avec plus de 1,1 milliard de dirhams. Le Fonds d'Abou Dhabi a donné 770 millions de dirhams ; le Fonds Koweïtien verse 1,1 milliards de dirhams tandis que le Fonds arabe de développement économique et social, lui, participe à hauteur de 426 millions de dirhams.