Pour son premier film, L'Etrangère, Grand prix du 5e Festival international du film de femmes de Salé, Feo Aladag plonge au cœur des tourments d'une famille tiraillée entre l'amour et les conventions archaïques. Film sur la violence conjugale, L'Etrangère, est un opus qui fait mal. Umay (Sybel Kekilli) a mal au sein de son couple et au plus profond de ses racines européennes : elle est allemande d'origine turque et vit à Istanbul. Elle est maman d'un petit garçon, Cem, que l'on découvre aux prises avec la fureur de son père. Le spectateur est d'emblée plongé aux côtés de la jeune femme, dans l'enfer d'une situation dramatique. L'enfant finit enfermé dans un placard, alors que sa mère est violemment jetée par terre. Quelques heures plus tard, sans un mot d'explication ni d'excuse, une seconde violence est affligée à Umay, par son mari désireux d'assouvir son désir charnel. Afin d'échapper à cet enfer, Umay, quitte la Turquie pour Berlin avec son fils. Elle retourne sur les traces de sa première vie auprès de sa famille, entourée de ses parents, de sa sœur cadette et de ses deux frères. Le film constitue une mise en abîme du thème de l'émigration, de la quête effrénée d'harmonie d'une femme, étrangère dans sa famille et qui tente de se trouver un bout de terre paisible. L'accueil qui lui est réservé se fait de plus en plus pesant. Jeune mère ayant quitté son époux resté au pays natal, Umay fait figure de révolutionnaire face à sa famille, soucieuse du regard de la communauté et fortement attachée aux traditions. Des traditions oppressantes et une situation conflictuelle qui rappelle le personnage de Sybel, héroïne de Head on, du réalisateur allemand d'origine turque Fatih Akin, également incarné par la comédienne Sybel Kekilli. Un film rockeur, sur l'errance et les rapports conflictuels d'une jeune femme avec sa famille turco-allemande. Rétention de dialogues, plans serrés pour mieux enserrer l'héroïne, espace réduit… L'image et la mise en scène servent l'absence de communication des membres de cette fratrie, véritable clan que la présence d' Umay ne cesse de déranger. En témoigne une séquence autour de la jeune femme et de sa mère, occupées toutes les deux à cuisiner, en maman et femme nourricière, accoutumées à offrir la vie et la nourriture, mais dos à dos, comme pour mieux faire entendre l'absence de compréhension de la mère pour sa fille, chacune murée dans son silence et ses convictions… La réponse tient à la nouvelle fuite de la jeune femme et de son enfant, leitmotiv qui ponctue à trois reprises L'Etrangère, renvoyant au génie du titre : Umay est une étrangère aux yeux de sa famille et une « pute allemande » pour son mari, qui réclame la garde de son fils. Mise au ban par les siens et répudiée par son époux _ déshonneur suprême intolérable pour cette famille turque _, elle continue d'être à la marge, sur une profonde ligne de faille. Cem, son fils, héros-enfant, porte la douleur et le mal qui rongent sa mère à travers une interprétation quasi éteinte, tout en retenue. Les uniques moments de répit dans ce long-métrage sont ceux qui montrent la soif de vie dont déborde pourtant Umay, qui décroche un emploi dans la restauration rapide, ou rêveuse, séduite par les avances de Stik. Ce dernier est l'un de ses collègues avec qui elle noue de solides liens au fil de cette narration lourde, viciée, où lui manquent l'air et les horizons. Toujours tenaillée par la violence morale de sa famille, incapable de lui exprimer le moindre signe d'indulgence. On a mal pour Umay. On a mal pour son enfant. On a mal pour cette famille divisée, qui refuse de comprendre la souffrance et d'entendre le cri d'amour de l'un de ses membres : sa fille aînée. Sujet d'actualité, qui secoue par sa cruauté, les crimes d'honneur représentent cinq mille cas perpétrés chaque année contre les femmes, d'après les chiffres de l'ONU. Au-delà de ce destin brisé, cet oeuvre rappelle le besoin de liberté de tout un chacun.