Samedi 6 mars, 14h45. La salle de conférence de l'hôtel Ibis de Rabat est archicomble. L'assistance à majorité féminine commence à s'impatienter, alors que des retardataires cherchent toujours un siège pour s'asseoir. «Désolée pour ce retard. Le procès s'ouvrira dans quelques minutes ! Les acteurs prennent, juste, un moment pour se préparer», lance au microphone Aatifa Timjerdine, la coordinatrice nationale du réseau Anaruz réunissant une cinquantaine de centres d'écoute des femmes victimes de violence. Cet après-midi, des associations du Maroc entier se sont données rendez-vous, ici, pour assister à un procès pas comme les autres. Il s'agit d'une mise en scène montée par les membres d'Anaruz dans le but de «poursuivre» une loi «injuste». Le procès symbolique porte le thème «Ensemble pour un Code pénal équitable». Les acteurs enfilent un ruban de couleur verte et quittent les coulisses improvisées à quelques mètres de la salle de conférence. Aatifa Timjerdine reprend son microphone et se place au pupitre : «Nous avons toujours souffert d'un Code pénal inéquitable basé sur une philosophie patriarcale, purement masculine. Il marginalise la personne et lie les crimes de la femme aux mœurs». Mesdames, messieurs, la Cour ! Silence, le juge, qui ne pouvait être qu'une femme, Me Khadija Rougani (barreau de Casablanca), déclare immédiatement la séance ouverte. Devant le pupitre se place l'avocate de la défense, Me Naïma El Guellaf (barreau de Rabat), et face à elle une petite table derrière laquelle s'assoit Me Mohamed Almou (barreau de Rabat), pour jouer le rôle du procureur. Dossier 1/2010 : Larbi est poursuivi pour violence conjugale, selon l'article 404 du Code pénal. Sa femme, Nejma doit répondre de l'accusation d'avortement prémédité (article 454). Tandis que Jaouhara, responsable d'un centre d'écoute Anaruz, et le couple Hamman et Aïcha sont poursuivis pour avoir aidé Nejma dans sa fugue du foyer conjugal. «Madame le juge, je vais vous dire la vérité : ma femme ne veut pas partager le lit avec moi ! Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Il faut qu'elle obéisse ! L'acte du mariage, je l'ai bien payé de ma poche, donc j'ai le droit à tout ce que je veux !» Les propos de Larbi suscitent des rires et des rougissements dans «la Cour» où l'on suit le procès avec le plus grand intérêt. Appelée à la barre, Nejma, visage meurtri, lève la tête pour crier : «Il m'a frappée et m'a renvoyée de la maison à minuit après m'avoir violée, car ce rapport sexuel, je n'en voulais pas ! Le médecin que j'ai consulté, ensuite, m'a prescrit un repos de 22 jours. Et, étant donné mon état de santé lamentable, il m'a recommandé d'avorter, alors je l'ai fait». Les trois autres accusés, eux, expliquent avoir tout simplement hébergé une femme en détresse et s'indignent des poursuites dont ils font l'objet pour un acte qu'ils qualifient d'humain : «Nejma a frappé à notre porte le visage couvert de sang, elle avait un pyjama et ne savait pas où aller. Vous vouliez qu'on la laisse dans la rue ?». Hamman et sa femme avaient cru bien faire en recommandant à Nejma d'aller à l'association qui l'a hébergée dans un centre d'accueil. Le procureur se lève pour interroger Jaouhara : «C'est votre association qui a conseillé à Nejma d'avorter ?». La responsable associative ne nie pas avoir eu connaissance de la grossesse de Nejma et souligne que cela devenait un danger pour sa santé. Jaouhara indique aussi que la violence du mari a entraîné un traumatisme chez sa femme nécessitant un soutien psychologique. Le procureur, homme de marbre, focalise son plaidoyer sur les articles 453 et 454 incriminant l'avortement qui, sans l'autorisation du mari et du délégué médical, reste un crime. «Larbi a le droit d'être un père, mais il en a été privé ! Le Code pénal punit l'avortement et sévèrement lorsque la vie de la femme n'est pas en danger et qu'il n'est pas autorisé par les parties concernées. Et le viol dont vous parlez n'est pas recevable, il est même annulé dans l'article 486 du Code pénal. Le débat est clos, monsieur le juge !». La présidente de la Cour toute surprise, fait une petite remarque, l'air enjoué : «Monsieur le procureur, je vous rappelle que je suis Madame la juge !». Eclats de rires dans toute la salle. Le procès symbolique montre à quel point la loi se conjugue au masculin, même dans la mentalité des membres de la Cour. La partie de la défense, Me Naïma El Guellaf, est offusquée : «La composition de la société n'est pas une recette. Un acte de mariage ne peut pas être synonyme du pouvoir absolu de l'homme sur la femme. L'avortement, à l'instar d'autres pays, relève de la liberté de la femme vis-à-vis de son corps. Le Maroc a ratifié plusieurs conventions garantissant ce droit, il doit, aujourd'hui, tenir ses engagements». Un plaidoyer pour la femme, contre les discriminations dont elle fait les frais dans le Code pénal : «Nous prions la Cour d'accorder son indulgence à Nejma et de rejeter les poursuites contre les trois personnes l'ayant aidée sur le plan humain». La Cour, après avoir traité une deuxième affaire (dossier 2/2010) concernant la différence entre deux types de viol : l'un ayant provoqué une grossesse et l'autre une défloraison (article 486 et 488 du Code pénal), prend le temps de délibérer. Une dizaine de minutes lui ont suffit. A 17h, le verdict est prononcé : «Concernant votre demande de porter le Maroc à appliquer les articles des conventions signées, la Cour se déclare non compétente. Concernant le délit de Larbi, la Cour condamne ce dernier à être interné trois mois dans un centre psychiatrique et à payer une amende de 20.000 DH, conformément à l'article 404». Larbi devra aussi purger 1 an de prison pour le viol de sa femme, tandis que les autres accusés, y compris l'épouse, ont été acquittés. Quant à la seconde affaire, les viols et les harcèlements sexuels vaudront aux accusés cinq années de prison. Le procès symbolique a soulagé les femmes, exorcisées même les peines de certaines ; mais pour que le Code pénal soit «féminisé» réellement, il faudra plus qu'une dizaine de minutes. leïla hallaoui