Sur le boulevard Mohamed VI, on ne trouve plus où mettre les pieds, cerné par les bâches en plastique des vendeurs à la sauvette qui vendent de tout et n'importe quoi ; il n'y a plus de place ni sur les trottoirs, ni sur la chaussée. Malgré la présence d'agents de la circulation, rien ne semble arrêter ce nouveau marché à ciel ouvert. Les mercredis et samedis sont les journées qui connaissent le plus grand afflux de «ferracha», ces marchands qui s'installent à même le sol sur les deux bordures de l'avenue. A dix heures, Brahim a déjà réservé une place avec deux bâches bleues pour exposer un tas de sous-vêtements en coton. «J'ai 24 ans et un diplôme de Baccalauréat trop ancien pour servir à quelque chose, alors je gagne ma vie ici pour subvenir aux besoins de mes quatre frères et de ma mère âgée», explique-t-il. Parce qu'en plus des vendeurs à la sauvette connus de la rue Singer, d'autres changent leur commerce selon les saisons (pyjamas et vêtements pour enfants en temps de fête, jouets en période de Achoura ou nourriture pour le ramadan), tous ont pris place, petit à petit, depuis sept mois maintenant, bloquant même l'accès aux boutiques et aux petites surfaces. «Ce n'est pas raisonnable», se lamente un propriétaire, «Je paie ma patente, l'électricité et le loyer pour que d'autres viennent occuper la place et vendre moins cher que moi ! Ça leur convient parce qu'ils sont devenus plus accessibles aux acheteurs que nous !» Nombre de boutiques ont toutefois trouvé l'alternative à leur situation. Abdelhak affirme ainsi avoir fini par employer ses propres «ferracha», chargés de vendre la marchandise du magasin aux côtés des autres exposants par terre. «Notre situation est en dégringolade», avoue-t-il pourtant, «la solution n'est pas durable dans le temps mais je n'y peux rien. Les commerçants des magasins ont tout essayé et se sont plaints auprès des autorités mais personne n'ose déloger les vendeurs à l'étalage, pas même devant les boutiques, ni ceux qui s'installent sur la route». Des familles entières vivent de ce commerce informel. Le père vend des vêtements pour enfants à 18 DH, à côté de la mère qui expose des foulards à 5 DH et de leurs deux enfants qui crient le prix d'ustensiles en plastique: «1,50 la pièce, c'est à moitié-prix !» Une de ces commerçantes commente : «Je viens d'El Hraouiyne pour acheter au prix de gros à Derb El Baladiya et revendre au prix de détail. Imaginez la marge de bénéfice…». Au milieu de ce brouhaha coloré, slalomer entre les étalages reste la seule alternative pour se frayer un passage. Une habitante confie qu'il «est invivable d'avoir cette cacophonie sous sa fenêtre. Ça doit être très difficile pour les commerçants aussi, mais les gens suent pour gagner leur croûte et c'est aux autorités de les organiser». Mais jusqu'à présent, les autorités semblent rester passives face à la situation, pendant que les vendeurs gagnent davantage de terrain sur des lieux qui leur étaient autrefois interdits. Et ça va être encore pire pendant le ramadan.