Abouammar Tafnout, militant de la première heure du Mouvement du 20 février nous éclaire sur les orientations de son mouvement, et revient sur ses rapports avec l'Etat, la Constitution et l'Alliance pro Constitution. Abouammar Tafnout lors d'une manifestation à Casablanca. Vous avez nettement disparu des médias depuis le lancement de la campagne référendaire, comment l'expliquez-vous ? C'est voulu, c'est toute la politique médiatique de l'Etat qui va dans ce sens. Cela a commencé à partir de la manifestation du 20 février. A l'époque, dans son journal du soir, 2M n'avait recensé que 900 personnes participant à la manifestation, alors que les chiffres les plus raisonnables dépassaient les 7 000. Donc dès le départ, le pôle public a montré tout son manque de professionnalisme et d'objectivité dans la couverture des activités du Mouvement du 20 Février. Quant à la presse écrite, la majorité des titres ont des lignes éditoriales très complaisantes envers le pouvoir, par exemple, lors de la manifestation du 20 mars, Akhbar Alyoum avait recensé 60 000 marcheurs tandis qu'Assabah n'en avait observé que 5 000. Mais parlons de votre disparition du paysage médiatique aujourd'hui… Ce n'est pas nous qui avons disparu, ce sont les médias qui ne nous adressent plus la parole. Nous, nous continuons à marcher, nous continuons à militer. Nous remarquons aussi que lorsque certains journalistes parlent du mouvement, ils manquent malheureusement d'objectivité et de recul et commencent à donner des jugements de valeur sur le mouvement : on entend parfois que c'est la gauche radicale qui a récupéré le mouvement, parfois c'est Al Adl Wal Ihssane… Pourtant, plusieurs journalistes constatent que les Adlistes sont de plus en plus prédominants dans les marches du mouvement, qu'en pensez-vous ? Il ne faut pas oublier que les membres de la Jamaâ sont avant tout marocains et le Mouvement du 20 février est celui de tous les Marocains. Ce que je ne comprends pas c'est que les Adlistes sont présents avec nous depuis le 20 février, et bizarrement ce n'est que maintenant qu'on entend ces critiques. Je rajoute que le fait de projeter les regards vers la soi-disant prédominance d'Al Adl au sein du 20 février est une politique visée par l'Etat pour diaboliser le mouvement. Certains observateurs critiquent le «jusqu'au-boutisme du mouvement» et lui reproche de ne pas s'être transformé en force de proposition… Ecoutez, on est d'abord un mouvement de protestation… Jusqu'à quand ? Jusqu'à ce que nos demandes soient satisfaites. Nous ne pouvons pas sortir d'une chambre d'attente pour entrer dans une autre. Le peuple marocain mérite bien la démocratie. Et puis, comment voulez-vous qu'on donne des propositions à un Etat dont nous ne faisons plus confiance. Concernant la commission Mennouni, nous n'allions pas émettre des propositions aux côtés de partis qui n'ont jamais souhaité des réformes constitutionnelles. Je ne vais pas poser mes réclamations à côté de Ahardane qui n'a jamais rien demandé. Il fallait pourtant avoir l'avis de tout le monde ! Oui, je veux bien, mais je vais vous parler d'un exemple concret : la majorité des associations qui ont déposé leurs réclamations sont des associations travaillant dans le cadre de l'INDH, donc proches du pouvoir. Vous parlez d'une crise de confiance. Pourtant, ce sont bien 98,5% des inscrits qui ont approuvé la Constitution… Bon, cela c'est une autre histoire. Avant même le début de la campagne référendaire, des personnes ont reçu leur carte d'électeur alors qu'ils ne l'ont même pas demandée. Ce sont les moqadems qui ont fait du porte-à-porte pour remettre les cartes, ce qui est illégal au vu de la loi. Et puis, tout le tapage médiatique qui a accompagné la campagne référendaire a été tout, sauf démocratique. Nous avons tout de même pu entendre l'avis d'opposants à la Constitution sur les médias nationaux… C'est normal, puisqu'il y a un quota qui doit être respecté par les médias. Comment voulez-vous que les médias fassent appel à vous alors que vous ne vous êtes même pas constitués en association ? On ne demande pas à ce qu'on fasse appelle à nous. On veut juste que la démocratie soit respectée. Pourquoi avez-vous refusé de voter «non», d'autant plus qu'il y a des personnes qui disent que vous avez opté pour le boycott pour ne pas être comptabilisés et connaître ainsi votre vrai poids dans la société ? Voter «non» voudrait dire qu'on approuve la Constitution de 1996, ce qui n'est pas le cas. Vous savez, la majorité des Marocains a boycotté. Vous croyez vraiment que 9 millions de Marocains ont voté ce jour-là. C'est clair que ce n'est pas vrai. Avez-vous une preuve ? Est-ce que le ministre de l'Intérieur a une preuve de ce qu'il avance. Ecoutez, nous avons constaté beaucoup de dépassements lors de ce scrutin. Il y avait même des bureaux de vote où il n'y avait pas de bulletins «non». Ensuite, il y avait des électeurs qui n'ont même pas signé. Parfois on a même voté à la place des électeurs. Tant que c'est toujours le ministère de l'Intérieur qui s'en occupe, on ne pourra jamais dire que les élections au Maroc sont transparentes. Maintenant, la Constitution est passée. Que comptez-vous faire pour au moins ce qui y est positif soit appliqué ? Tant que les partis sont les mêmes, rien ne changera. Quand vous voyez un parti comme le PPS, donc de référence communiste, soutenir corps et âme Imarat Almouminine, ça vous dégoûte de la politique. Nos partis politiques ne respectent plus leurs idéologies. On a l'impression que Benabdallah et Benkirane sont dans le même parti. Vous reprochez au PJD et au PPS de ne pas être assez différents dans leurs idéologies. Pourtant Al Adl et Annahj arrivent bien à cohabiter au sein du 20 février ! Ce qui nous lie avec Al Adl est clair, c'est la plateforme du 6 février, c'est le fameux jour où on avait créé le groupe « Liberté et Démocratie Maintenant ! ». Je vais aller plus loin, c'est vrai qu'au début on avait des divergences entre nous, maintenant Al Adl affirme vouloir un Etat civil, est-ce que le PPS ose le dire ? A bien des égards, certains partis sont beaucoup plus conservateurs qu'Al Adl. Photo Yassine TOUMI On vous reproche d'avoir fait pression pour augmenter les salaires et aujourd'hui le déficit budgétaire atteint des sommets, que répondez-vous ? Ecoutez, le déficit budgétaire atteint, il est vrai, 6 %. On pointe du doigt la hausse des salaires. Pourtant personne ne parle des dépenses de l'Etat, du Makhzen et de ce qu'ils coûtent pour le contribuable marocain. Quel est votre stratégie pour le mois de Ramadan, on a entendu dire que vous comptiez manifester la nuit ? On va continuer à manifester, mais on a pas encore décidé si c'est en journée ou plutôt la nuit. Mais nous allons continuer à manifester puisqu'on n'a pas d'autres choix que la rue. Ecoutez, on n'est qu'au début du mouvement. Il ne faut pas oublier que nous n'avons que cinq mois d'existence. Et nous avons beaucoup de réussites à notre actif : nous avons imposé le droit à manifester, la Constitution qui nous a été octroyée est le résultat de la pression du mouvement. Ne comptez-vous pas vous constituer en parti politique ? Nous ne voulons pas, tout simplement parce qu'un parti politique au Maroc n'a pas assez de prérogatives pour mener à bien son programme. On ne demande pas la lune, on veut seulement une réelle séparation des pouvoirs, ce qui n'est quand même pas extraordinaire. Il suffit d'avoir une volonté politique. Que pensez-vous du mouvement de l'alliance royaliste ? On ne peut même pas le considérer comme un mouvement. J'ai vu de mes propres yeux des membres du conseil de la ville de Casablanca distribuer de l'argent à de pauvres gens, en leur disant que nous étions des athées, des membres du Polisario. Bref, on aura tout entendu. Mais se sont des choses qui ne nous surprennent plus. Si seulement ces gens avaient des revendications, mais il ne font que crier «Vive le roi, vive le roi». Mais vous pensez bien qu'eux-aussi ont le droit de manifester… Bien sûr, et je me battrai pour qu'ils aient le droit de manifester. Mais qu'ils arrêtent de perturber nos marches, que lorsque nous décidons de faire une marche à El Oulfa, qu'ils décident d'en faire une ailleurs. Nous sommes pour les autres opinions, mais qu'ils arrêtent avec le manichéisme : soit tu es avec nous et tu es quelqu'un de bien, soit tu es contre nous et donc tu es un athée financé par le Polisario.