Comme tous les jeudis, retrouvez notre série de l'été sur le laboratoire national de la police scientifique de la DGSN de Casablanca. Aujourd'hui, Faouzi Slaoui, le chef du service toxicologie et stupéfiants nous embarque dans le quotidien d'un service très actif. C'est grâce à une annonce publiée dans le Matin du Sahara que le laboratoire national de police scientifique de Casablanca devient riche d'un expert de la trempe de Faouzi Slaoui. Membre de l'équipe fondatrice du labo (qui ouvrira ses portes en 1995, ndlr) et à l'instar de ses collègues, le docteur Slaoui a d'abord dû être formé à l'Institut Royal de Police de Rabat pour passer du statut de civil à celui de commissaire divisionnaire. Il y apprend tout ce qui à trait à la balistique, au droit et à la gestion administrative, avant d'aller suivre un premier stage de six mois au laboratoire de police scientifique de Paris, Quai de l'Horloge, puis six autres au labo de toxicologie de l'institut médico-légal du Quai de la Rappée. De retour au Maroc, le docteur Slaoui met la main à la pâte, avec ses collègues Hamid Abied (directeur) et Abderrahim Louai (chef du service incendie et explosifs), pour la conception du laboratoire casablancais, «depuis les réunions de chantier, à la peinture, au dessin des paillasses (tables de travail, ndlr), aux escaliers, au renouvellement de l'air, à la conception de la salle des fluides jusqu'à la soute à solvants», se souvient avec amusement cet homme accueillant, sympathique et volubile. «Nous avons d'ailleurs reçu de très bons échos de la part des laboratoires de Lille et de Lyon, mais aussi des scientifiques espagnols et du FBI», se réjouit-il. Comme le service explosifs et incendies, celui de toxicologie et stupéfiants travaille sur trois axes principaux : rechercher les causes d'une mort suspecte après autopsie, faire des analyses physico-chimiques des stupéfiants et analyser les toxiques ou poisons non stupéfiants, comme la mort-aux-rats. La recherche des causes d'une mort suspecte se fait en étroite collaboration avec le médecin légiste qui effectue les prélèvements sur le corps du défunt et les adresse au labo «pour confirmer ou infirmer une hypothèse », explique le docteur en génie biologique. «Ce sont en général du sang, de l'urine, des morceaux d'organes comme l'estomac, le cœur ou le foie, des cheveux ou toute autre partie du corps humain», détaille-t-il, «dans lesquels nous recherchons une molécule toxicologique ou stupéfiante, c'est ce que nous appelons l'extraction », explique le Dr Slaoui avant d'ajouter « qu'une bonne extraction est la base d'une bonne analyse ». « On peut extraire un produit gazeux ou minéral », poursuit le biologiste. Une fois l'extraction terminée, les neuf experts sous les ordres de Faouzi Slaoui se lancent dans l'analyse du ou des produits récoltés, afin d'identifier clairement la molécule qui a entraîné la mort, ce qui nécessite «beaucoup de technique et d'appareillage», informe-t-il. De ce véritable travail de fourmi, car «pour chaque famille de toxique, il y a une extraction correspondante, qu'elle soit gazeuse (lorsqu'il faut récupérer un gaz), chimique (récolter une molécule), chromatographique (séparer les différentes molécules) ou spectrale (utilisation d'ultra-violets ou d'infrarouges) ». C'est pour cela qu'une bonne communication avec le médecin légiste est primordiale, « s'il sait ce qu'il cherche, comme des benzodiazépines (somnifères, ndlr) ou du monoxyde de carbone par exemple, il oriente notre travail et nous perdons moins de temps », témoigne le docteur Slaoui. Malheureusement, le médecin légiste n'a pas toujours de piste et dans ces cas-là, « il demande un screening (diaporama) toxicologique complet et c'est beaucoup plus difficile pour nous». Parce que s'il y a bien un aspect caractéristique du laboratoire national, c'est le travail d'équipe. Chaque service aide l'autre et chaque corps de métier interagit. «On se fait souvent aider par les techniciens de scènes de crimes qui font des prélèvements sur place, dans l'environnement du cadavre (médicaments, aliments, verres vides, poudres, seringues, cuillères…), et par les constatations des enquêteurs», développe le scientifique, qui ne saurait se passer d'un contact aussi étroit entre les différents acteurs de la DGSN. Parmi les quelque 350 affaires que traitent les docteurs en pharmacologie et chimie, les spécialistes en cheveux et les biologistes du service toxicologie et stupéfiants, les plus courantes sont sans surprise les identifications de cannabis, puisque le laboratoire de Casablanca en reçoit un échantillon à chaque saisie de la police ou des douanes. Pour ce genre d'analyse, les résultats sont transmis dans la journée aux enquêteurs et mènent en général à l'arrestation des trafiquants. En deuxième position arrive la cocaïne, suivie de l'héroïne et «depuis quelques années, des pillules d'extasy». Cette nouvelle drogue est une modification de la méthamphétamine (MDMA), un stupéfiant très puissant, stimulant et hallucinatoire. Mais il y a aussi l'inévitable «karkoubi», un psychotrope très répandu car vendu en pharmacie pour traiter la schizophrénie et les déséquilibres mentaux, que les trafiquants détournent à d'autres fins, pour quelques dizaines de dirhams seulement. Un jour, le service du docteur Slaoui reçoit un carton de fleurs séchées suspect, destiné à un Casablancais. Après quelques heures d'analyses et de recherches tatillones, «on allait écrire notre rapport en disant qu'on n'avait rien trouvé de suspect lorsque je remarque que la colle qui maintient le carton était assez épaisse et plutôt claire. C'était de la «pasta» (pâte de cocaïne, ndlr). Il y avait 750 g de cocaïne par carton, à raison de onze cartons, c'était une belle prise», se souvient le commissaire divisionnaire. Une autre fois, dans le cadre d'une coopération internationale, un coupon de tissu d'1,50m arrivé par la poste en cadeau à une habitante de la capitale économique se retrouve entre les mains des experts de la scientifique, qui y ont trouvé un kilo de cocaïne, prise dans les mailles du tissu. Cette «livraison surveillée», que plusieurs pays suivent à travers son parcours, n'est pas la technique de camouflage la plus farfelue puisque certains trafiquants poussent le vice jusqu'à faire passer de l'héroïne pure pour du shampoing révèle Faouzi Slaoui. «C'est verdâtre et ça a exactement la même texture», assure-t-il. Tout le monde se souvient de la «marée blanche» de 1998, sur la plage de Dar Bouazza, pendant laquelle cinq tonnes de cocaïne pure empaquetée en briques étaient «tombées» d'un navire colombien pour venir s'échouer sur les rives casablancaises. Au laboratoire de la police scientifique alors flambant neuf, «on a identifié la nature exacte de la drogue et plein de petites affaires liées à cette même drogue ont suivi», sourit l'expert. Si le service du docteur Slaoui est sur toutes les affaires de drogues telles qu'on les imagine, les hommes des stups travaillent aussi sur des suicides et des tentatives de viol et/ou d'assassinat, «notamment par empoisonnement», informe celui qui dirige son service avec décontraction mais extrême rigueur. «Nous observons un phénomène récent : l'endormissement de victimes à des fins de vol et/ou de viol, avec des benzodiazépines», note-t-il. «Nous avons ainsi trouvé du nordazépame (hypnotique et anxiolitique, ndlr) dans de la harira et du clonazépame (sédatif, somnifère, ndlr) dans des glaces», témoigne-t-il. «Une habitude très locale est l'utilisation de «takaout», un produit utilisé pour se teindre les cheveux en noir, qui se trouve être un poison très toxique», affirme l'expert en toxicologie. «C'est un produit très utilisé par les mères célibataires pour avorter ou se suicider». Les poisons sont partout. Dans la mort-aux-rats, les teintures pour cheveux, les plantes et les produits détergents du quotidien lorsqu'ils sont placés près des produits alimentaires. Les aliments périmés peuvent aussi se transformer en poisons violents et les modes de conservation sont également sujets à risques : les yaourts gardés à température ambiante, les viandes à découvert, les glaces décongelées et recongelées, etc., peuvent provoquer de graves intoxications alimentaires pouvant aller jusqu'à la mort. «Récemment, plusieurs personnes travaillant dans une fabrique d'huile d'olive sont décédées après avoir inhalé le méthanol créé par la macération des olives dans des pièces fermées. Cette histoire a été un véritable casse-tête pour nous !», témoigne Faouzi Slaoui. Le lave-glace (éthylène-glycol) est aussi apprécié pour ses vertus empoisonnantes parce qu'il est sucré. «Lorsqu'il se dégrade dans l'organisme, il entraîne des comas convulsifs et une insuffisance rénale parce qu'il empoisonne le sang (les reins sont les filtres de l'organisme, ndlr)», explique le toxicologue avant de se souvenir du cas de garçons de café qui avaient tenté de se débarrasser de leur patron en lui servant du lait bourré d'insecticide (!) ou de celui de cet employé d'une maison pour enfants handicapés qui s'était fait mette à la porte, et qui, pour se venger, avait jeté des sucettes empoisonnées au raticide dans le jardin de la maison… Faouzi Slaoui, Commissaire divisionnaire et chef du service toxicologie et stupéfiants du laboratoire de police scientifique de la DGSN. 1986 et 1987 Obtient deux brevets internationaux pour ses travaux de recherches sur les polymères à propriétés anti-cancéreuses. 1988 Docteur en génie biologique et médical de Paris XIII. 1989 Enseignant de Chimie à l'IUT de Saint-Denis (93). 1989-1990 Chercheur à l'Institut Pasteur de Casablanca, notamment sur le SIDA. 1990 Chercheur à l'Institut Intègre le labo de Casablanca, avec l'équipe de départ.