Le 30 avril dernier au Qatar, la tunisienne Souhayr Belhassen, qui se décrit comme « féministe, laïque et universaliste », se voit décerner le prix Takreem 2011 de la femme arabe pour son action en faveur des droits humains. Retour sur le parcours de cette combattante intrépide, qui ne s'est jamais avouée vaincue, même lorsqu'elle fut expulsée de son pays. Rares sont les personnes qui réussissent à vous émouvoir par le dosage équilibré et déroutant que leur personnalité réussit à réaliser entre leur force intérieure et leur apparente fragilité. L'oxymore idéal. Souhayr Belhassen est de celles-ci, sa voix chaleureusement douce trahissant sa bonté, qualité qui vient balayer d'un revers de la main tout préjugé, mariant militantisme et agressivité. Lors de la cérémonie de remise du prix Takreem le 30 avril dernier dans le village Katara au Qatar, le jury n'a pas hésité longtemps à la désigner comme la femme arabe de l'année pour son action en faveur des droits humains. Le prix Nobel de la paix 2005 Mohamed ElBaradei, la parlementaire palestinienne Hanan Ashrawi, ainsi que l'ancien sous-secrétaire général de l'ONU Lakhdar Brahimi étaient parmi ceux qui ont sélectionnés la militante tunisienne. « Je dédie ce prix aux femmes et aux hommes qui ont fait la révolution tunisienne. Je dédie ce prix à toutes les révolutions en cours dans le monde arabe », a déclaré Souhayr Belhassen lors de la cérémonie. Né en 1943 à Gabès (Tunisie) d'une mère tunisienne et d'un père né en Indonésie, elle débute ses études supérieures à Tunis, optant dès le départ pour le droit : les prémices annonciatrices de l'avenir auquel elle se destinait. Elle ira par la suite renforcer son cursus à l'Institut d'études politiques de Paris. A la fin des années 1970, elle se dirige alors vers la voie professionnelle qui donnera plus de poids à sa voix militante, le journalisme. Durant ses vingt ans d'exercice, elle sera notamment correspondante en Tunisie de l'hebdomadaire Jeune Afrique puis de l'agence de presse Reuters. Parallèlement, son combat pour la défense des droits de l'Homme, et plus précisément celui des femmes, prend de l'ampleur. En 1984, au moment où là Tunisie est au bord de la guerre civile à cause des « émeutes du pain », voilà qu'elle s'engage dans la Ligue tunisienne des droits de l'homme, fondée en 1977, institution dont elle deviendra, dès 2000, la vice-présidente. En 1993, elle lance une pétition de soutien aux femmes algériennes, où elle dénonce le « silence coupable » du gouvernement tunisien qui n'agit pas face à la situation de ces dernières. Les représailles ne tardent pas à se matérialiser, puisqu'elle est expulsée de son pays durant cinq longues années. Après ce dur arrachement à sa patrie, elle prouve que son militantisme résiste même en dehors de la Tunisie. Cet acharnement lui vaut de devenir, en 2007, la première femme à être désignée à la tête de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH). Lors de plusieurs de ses interviews télévisées, la voix douce et posée de celle qui se décrit ouvertement comme «féministe, laïque et universaliste » ne dégage aucune bribe de haine. Pourtant, elle a été malmenée à plusieurs reprises, par les forces de l'ordre tunisiennes. Elle évoque l'un de ses retours à Tunis, après avoir assisté à des séminaires internationaux. L'accueil à l'aéroport était loin d'être chaleureux. « Mes dossiers ont été confisqués à la douane, où je suis restée des heures. Et à ma sortie, j'ai été agressée par deux policiers qui m'ont giflée, m'ont jetée et m'ont traînée par terre », la traitant avec les mots les plus ignobles. Elle ne baisse pas pour autant la tête, et redouble d'efforts pour porter les problèmes vécus en Tunisie vers l'extérieur, et en particulier sur la Rive nord de la méditerranée, lieu à partir duquel elle continue à militer pour les femmes du monde arabe et d'Afrique. L'une des preuves de cette délocalisation fructueuse se concrétise le 8 mars 2009, quand elle lance la campagne «l'Afrique pour les droits des femmes», incitant les Etats africains à ratifier la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedef). Sidiki Kaba, qui a encouragé sa nomination à la tête de la FIDH au détriment de l'autre candidat pressenti à l'époque, avait déclaré vouloir ainsi attirer davantage le regard de la communauté internationale vers ces « vallées de larmes et de souffrances » que sont le monde arabe et l'Afrique. Le 30 avril dernier, ce « takreem » (hommage) était également un prix symbolique à l'une des graines de la révolution tunisienne, mouvement pilote qui en entraîna plusieurs autres dans son sillage.