Projets institutionnels avortés, services de collecte défaillants ; en dépit des volontés du gouvernement, la question des déchets est l'un des premiers enjeux environnementaux à l'échelle nationale. Pour la première fois, les municipalités prennent le problème à bras-le-corps en créant l'Association marocaine pour les eco-villes (AMEV). Au Maroc, il n'existe pas d'espace où les élus municipaux peuvent se rencontrer pour discuter des questions de développement durable et urbain. Ces notions restent des concepts et les projets menés par le gouvernement n'entrent jamais en concertation avec les autorités locales», lance amèrement Mehdi Guadi, directeur de l'AMEV. C'est en partant d'un tel constat que l'Association marocaine pour les eco-villes voit le jour en juillet 2010, réunissant les collectivités soucieuses des enjeux environnementaux de leur commune. Outre les problématiques liées à l'urbanisme, les espaces verts ou le transport, la question des déchets arrive en tête des préoccupations municipales. Lors de sa première réunion le 26 novembre dernier, l'association mesurait l'urgence de l'élaboration d'un Plan communal déchets. Une première au Maroc. Première association fondée par les collectivités locales, l'AMEV engage sa démarche autour d'une réflexion commune. «Les cabinets d'étude ne sont pas les seuls à pouvoir conseiller les communes. Nous pouvons aussi créer une coopération par des réseaux décentralisés et solidaires entre des élus qui partagent une même vision», affirme Guadi. En partenariat avec la ville de Paris, l'AMEV rassemble les collaborateurs experts autour d'une étude apportant des solutions concrètes, en fonction des besoins de chaque ville. Car selon Guadi, «il n'y a aucune fatalité à ce que le secteur des déchets soit privatisé». Un argument auquel s'ajoute une expérience des services publics que la capitale française entend partager avec le Maroc. Afin de mettre le projet sur pieds, l'élaboration d'un système en réseau, aujourd'hui constitué de treize villes membres (Agadir, Berkane, Rabat, Benslimane, Al Hoceima, Chefchaouen, M'diq, Tan Tan, Sidi Ifni, Tata, Ouled Aissa, Oulmès et Irigh NTahala) s'impose rapidement. Deux villes pilotes En tête de file, Agadir et Oulmès travaillent à la réalisation d'une méthodologie spécifique aux besoins et habitudes de vie des habitants. Des villes cobayes dont l'ensemble des études et expériences bénéficieront par la suite aux autres villes du réseau. Ainsi, l'AMEV revendique une réflexion globale, financée par l'ensemble des membres. «C'est le principe de la coopérative : chacun met un peu d'argent grâce auquel on essaye de créer une action profitable à tous. Notre objectif est que la ville cesse de tourner le dos à la campagne. La ville doit également arrêter de s'étaler, sans quoi elle piétine sur des terres arables et rallongent la distance entre le champ et le lieu de travail. Tout ceci n'est pas «durable», précise le directeur. Faire de l'INDH Véritable fer de lance en matière de gestion locale et solidaire des déchets, l'association poursuit par ailleurs son ambition à valeur sociale et anthropologique. Entre autres enjeux, elle s'intéresse désormais aux petites mains travaillant dans la collecte et le traitement des déchets via l'élaboration d'un Cahier des charges, obligeant les exploitants de décharges à installer une permanence médicale régulière pour les salariés. Ainsi, le Plan communal déchets participe activement à l'Initiative nationale pour le développement humain, une mission qui passe, avant tout, par une sensibilisation et une responsabilisation des populations. «Les déchets sont un miroir de notre société. L'enjeu est que chacun se rende compte que jeter un déchet n'est pas un geste innocent et que ça a un coût sur le plan environnemental, social et économique. C'est le regard des gens qui doit changer», conclut Guadi. Forte de son esprit de coopération et d'union des volontés, l'AMEV multiplie les initiatives et travaille actuellement à la création de la première édition de l'Université de printemps du développement durable, à Chefchaouen du 16 au 18 juin 2011. Le projet réunira pour la première fois les acteurs, chercheurs et élus locaux des trois rives de la Méditerranée. INTERVIEW Communes et associations pour des villes propres Medhi Guadi, directeur de l'Association Marocaine des Ecovilles (AMEV). Pour mener à bien ses projets de gestion des déchets, l'Association marocaine des Ecovilles (AMEV) travaille en collaboration avec la ville de Paris. Pensez-vous qu'un modèle français de gestion des déchets puisse s'appliquer à un contexte marocain ? Aujourd'hui, le Maroc a une approche technicienne identique à celle de la France. Or la quantité de déchets collectés n'est pas la même au Maroc qu'en France. Donc au lieu d'investir dans de grosses bennes, il vaut mieux réfléchir à des engins de petit gabarit correspondant à la configuration des rues. Il n'y a pas de modèle préfabriqué quand on parle de la vie durable, il y a des règles universelles et des particularismes. Après, les solutions sont à trouver au niveau local. Justement, existe-t-il un «particularisme» marocain ? Oui. Au Maroc, 65% des déchets sont des déchets humides, contrairement aux pays du Nord où les déchets sont principalement constitués de plastiques et de cartons. Le Maroc doit donc davantage se concentrer sur les déchets organiques. Nous travaillons actuellement à la mise en place d'une journée participative à Oulmès le 10 avril prochain, mobilisant 400 personnes de tous âges. Le but est de nettoyer la ville de manière professionnelle, c'est-à-dire de la production du déchet jusqu'à son enfouissement dans la décharge municipale. L'expérience consistera à récolter deux tonnes de déchets organiques et de montrer à la population que ces deux tonnes représentent de l'argent. Quand on parle de déchets organiques, on pense immédiatement à la question du compostage. L'AMEV pose le postulat d'une récupération des épluchures pour alimenter le bétail. Agadir et Oulmès sont deux villes de gabarits différents, quelles seront les méthodologies mises en place en matière de gestion des déchets ? Les services des deux villes mettront en place un canevas de méthodologie d'élaboration du Plan communal déchets. Un comité de pilotage, le plus large possible, sera formé afin de réunir les principaux producteurs de déchets, à savoir les déchets ménagers, du BTP et de l'hospitalier. Il s'agit d'améliorer le système actuel et de créer une solidarité entre tous les acteurs. Pour Oulmès, nous considérons que le développement durable implique le systématisme de l'information : si des acteurs avancent dans le même sens ils doivent avoir la même information. Pour cette raison, nous voulons renforcer la capacité des associations locales. Enfin, nous cherchons à sensibiliser les jeunes et les populations locales par la mise en œuvre d'actions concrètes telles que la journée du 10 avril. Comment financez-vous de telles actions ? Les premiers financements viennent des communes, par le biais d'une cotisation de 0,40 DH par habitant. Mais les projets qu'on porte ne peuvent pas être financés uniquement par les communes. Au niveau gouvernemental, seuls la direction générale de collectivité locale, le ministère de la Jeuness et le secrétariat d'Etat chargé de l'eau et de l'environnement ont porté une oreille attentive. Nous attendons bien plus de la part du gouvernement car l'AMEV est la seule association au Maroc portée par des villes. Nous sommes là pour accélérer ce que le Roi a exprimé dans son discours de juillet 2009 sur la charte de l'environnement. Il en est de même pour les entreprises. Certaines ont des budgets de communication incroyables mais j'ai l'impression que pour elles, le développement durable n'est qu'une rhétorique.