Depuis quatre mois, Joy Gartner, artiste de cirque et dresseur d'éléphants, est bloqué au Maroc en raison d'une loi interdisant l'entrée sur le territoire de l'Union européenne d'animaux sauvages provenant d'Afrique. Zoom sur un imbroglio administratif hors du commun. Elles s'appellent Bélinda, Sabine, Dana et Pira. Du haut de leurs 2,80 mètres et de leurs 3,5 tonnes, ces «artistes à quatre pattes», comme on les appelle dans le métier, répondent au doigt et à l'œil de leur dresseur Joy Gartner. Mais depuis quatre mois, ces éléphantes de cirque ne font plus les belles. Parquées dans un petit enclos planté sur un terrain municipal de la ville de Casablanca, elles ne peuvent regagner la France, où le célèbre cirque Pinder les attend. La raison : une directive européenne, votée en 2004 et assortie d'une circulaire parue en juin 2010, interdit l'importation d'animaux sauvages de l'Afrique vers l'Union européenne. Cette loi ne concerne pas les animaux de cirque, de zoo et d'expositions auxquels l'accès à la zone Euro est autorisé selon une liste restreinte de pays (a priori Canada, Chili, Nouvelle-Zélande, Croatie et Suisse). Or, à l'heure actuelle, aucune compagnie maritime permettant le transport des pachydermes ne quitte le Maroc vers de telles destinations. Surtout, pendant que l'Espagne refuse l'entrée des éléphantes par le port d'Algésiras, l'Allemagne et la Roumanie disent autoriser l'accès des quatre artistes à l'Union européenne via leurs frontières. Pourtant et jusqu'à preuve du contraire, ces deux pays ne sont-ils pas membres de l'UE ? Selon Joy, les différents gouvernements -contactés à plusieurs reprises- semblent étouffés par des lois qui s'entrecroisent. «Je ne fais pas du commerce, je fais mon métier ! On est pris en otage par la loi !», s'indigne-t-il. Avant d'ajouter : «On ne peut rien nous reprocher. Les éléphantes ont été enregistrées à Toulouse et j'ai toutes les autorisations médicales et vétérinaires pour franchir les frontières». Dernier problème pourtant : le carnet ATA, document douanier pour les opérations de transit, délivré par la Chambre de commerce de Marseille et autorisant le transit du matériel et des quatre éléphantes, n'est plus en règle. Pour obtenir un nouveau carnet, Joy doit effectuer un départ à partir d'un pays membre de la communauté européenne. Alors que faire ? Plus de 6.000 km à dos d'éléphantes ? Unique solution selon les gouvernements : traverser les pays arabes, contourner la Méditerranée, la Mer Noire puis les pays de l'Est pour arriver en Roumanie. Un voyage de plus de 6.000 km. Joy refuse de prendre un tel risque : «Il faudrait traverser des pays en pleine révolution et une partie du désert ! C'est impossible avec des éléphants, c'est beaucoup trop dangereux ! Où est l'humanité dans tout ça ?!». «Une dictature intellectuelle» Pour Gilbert Edelstein, le directeur du cirque Pinder, également très engagé dans cette affaire, «il suffirait que le ministère de l'Environnement français permettent à ces quatre éléphantes, en définitive «otages», de faire une quarantaine au port de Marseille afin qu'elles puissent le plus rapidement rejoindre la piste du cirque Pinder. Cet imbroglio administratif est la démonstration de la complexité administrative qui est arbitrairement imposée aux cirques itinérants français ayant des animaux sauvages», énonce-t-il dans un communiqué de presse. Arrivé au bout de ses peines, Joy craint d'être obligé, la mort dans l'âme, d'endormir ses éléphantes. Rappelons que les éléphants sont considérés comme des espèces protégées. Pour Joy, elles sont bien plus que cela : «Mes éléphantes font partie de la famille. Elles sont l'histoire de notre famille et l'avenir de mon métier». En dépit de quoi, les associations telles que la Fondation Brigitte Bardot ou WWF, engagées dans la protection de l'environnement, ont refusé d'apporter leur soutien. «Les associations considèrent que les animaux de cirque sont mal traités. C'est une dictature intellectuelle imposée par des Verts malveillants et mal-pensants ! Il faut savoir qu'en France, le cirque compte 15 millions de visiteurs et les gens viennent à 90% pour les animaux. On fait fi de l'opinion publique !», lance Gilbert Edelstein. Face à une telle impasse, il convient surtout de mettre les défenseurs des espèces menacées face à leurs vraies valeurs et de lever le voile sur cet imbroglio administratif. Car quoi qu'en dise son métier, Joy n'est pas du genre à se laisser tromper.