S'immoler par le feu est-il un acte de bravoure ou de désespoir ? L'avis de Mohssine Benzakour, universitaire en psychologie sociale. L'immolation par le feu n'est pas un phénomène nouveau. L'histoire récente a retenu plusieurs cas dans le monde. Cet acte désespéré était un moyen de dénonciation d'une situation politique. Le cas de la Tunisie a plutôt un caractère social. Un marchand ambulant, dont la marchandise avait été confisquée par les autorités, s'immole par le feu pour exprimer son refus. Ce qui a déclenché la révolution du Jasmin. Comment expliquez-vous cela ? A travers l'histoire, les motivations des révolutionnaires se ressemblent : souffrance, privatisation, pauvreté, mauvaise gestion politique… Or, les mauvaises conditions sociales, politiques et économiques d'un pays ne conduisent pas automatiquement à une révolution, puisque dans certains pays vivant dans des conditions similaires comme la Somalie et le Soudan, celle-ci n'a pas eu lieu. C'est complexe. La révolution n'a pas de logique. Ce qu'il faut retenir du cas de la Tunisie, c'est qu'il ne faut jamais sous-estimer la valeur d'une personne qui peut changer le cours de l'histoire. Le changement peut provenir du sommet comme de la base, c'est-à-dire du peuple. S'immoler par le feu est un châtiment infligé à soi-même. Quel est l'état psychologique de la personne qui met le feu à son corps ? S'immoler par le feu n'est ni de la lâcheté ni de la bravoure. C'est un geste de désespoir. La personne qui passe à l'acte est dans des états limites. Ce ne sont plus la raison et la logique qui la dirigent mais plutôt ses émotions. S'immoler par le feu n'exprime pas le désespoir vis-à-vis de soi-même ni de la vie. La personne se retrouve dans un état émotionnel qui n'est pas clair. Elle vacille entre l'amour qu'elle porte à son pays et la haine pour ceux qui font mal à son pays. Démunie de tout autre moyen, elle utilise son corps pour exprimer son mécontentement. Comment expliquez-vous du point de vue psychologique le choix du feu, qui est le moyen le plus horrible pour se donner la mort ? Comme je viens de vous l'expliquer, la personne n'a d'autre moyen pour exprimer son refus que son corps. On peut également expliquer l'acte de se tuer comme une façon de sacrifier sa vie pour sauver autrui. C'est l'attachement à une cause qui l'encourage. Le cas en Tunisie est un acte individualiste. Cet acte exprime la perte de confiance en la communauté. On peut expliquer cet acte par le déclin de l'esprit communautaire en faveur de l'esprit individualiste. Aujourd'hui, les sociétés arabo-musulmanes ne croient plus à ce qui est «officiel». Elles n'ont plus confiance en l'Etat, les partis politiques, la société civile… C'est la mondialisation qui en est l'origine. Vous vous interrogez certainement si la mondialisation incite à la révolution. La réponse est oui. Car la mondialisation encourage la consommation. Et la consommation conduit à l'individualisme. On peut expliquer le choix de s'immoler par le feu au lieu d'autres moyens par le fait que cet acte a donné les résultats escomptés sous d'autres cieux. Le suicide est un péché selon l'islam. Comment expliquez-vous le fait de s'immoler par le feu malgré l'attachement à la religion ? Je ne sais pas si la personne qui s'est donné la mort par le feu est musulmane pratiquante ou non. Donc je ne peux pas en juger. Mais d'une manière générale, quand on croit à une cause, on est hypnotisé et on perd l'attachement à la vie. Des voix s'élèvent actuellement dans les pays arabo-musulmans pour dire que se donner la mort par le feu est haram. D'un autre côté, les adeptes de la révolution du Jasmin en Tunisie défendent cet acte.