Mohamed Benhamou estime qu'une évolution et des changements s'imposent pour les Etats du Maghreb, à savoir le renforcement des bases du système démocratique, la bonne gouvernance et le développement économique, social et humain. ALM : Comment analysez-vous la révolution tunisienne? Mohamed Benhamou : D'après ce qui s'est passé en Tunisie, on doit comprendre que le déficit démocratique ne peut nullement être comblé par un succès économique. Certes, la Tunisie a réalisé, lors de ces dernières années, quelques avancées sur le plan économique, mais malheureusement, il y avait un problème sérieux au niveau de la redistribution des richesses et de bonne gouvernance. A cela s'ajoute l'absence de démocratie dans le système de l'ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. Les jeunes Tunisiens se sont révoltés car ils se sont trouvés gouvernés par un système politique qui n'a pas su, ou n'a pas pu, ou n'a pas voulu s'ouvrir et se démocratiser. Quel est l'impact de cette révolution sur la région du Maghreb? Je pense que tout phénomène social ou politique développe sa propre dynamique et logique et répond à des mécanismes qui lui sont propres. On dit généralement que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes conséquences. Les événements en Tunisie sont nés d'une situation qui est propre à ce pays. Ils ont évolué dans un sens qui a fédéré les nombreuses attentes du peuple tunisien. Maintenant, il faut dire que l'ensemble des pays de la région et l'ensemble des sociétés dans le monde souffrent des répercussions de la crise financière et économique mondiale. La résistance à ces répercussions n'est pas pareille. Pour certains pays de la région, on trouve que l'Etat est riche alors que le peuple est pauvre, à cause de la mauvaise redistribution des richesses et parfois même de la non redistribution des richesses. Dans d'autres Etats, qui n'ont pas de ressources naturelles, on investit plutôt dans le potentiel humain. Des jeunes en Mauritanie, en Algérie et en Egypte se sont immolés, ces derniers jours, par le feu, en référence à l'exemple tunisien. Pensez-vous que ces Etats peuvent connaître les mêmes événements qu'en Tunisie? Certes, certains pays dans la région qui sont dans une situation de déficit grave en matière de démocratie sont menacés. L'on a vu ces derniers jours certains jeunes qui peuvent être tentés d'être les «Bouazizi» de leurs sociétés respectives. Mais le contexte n'est pas le même. On l'a bien expliqué au départ, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes conséquences. Cela dit, je pense qu'il y a aujourd'hui une évolution et des changements qui s'imposent pour les Etats de la région, à savoir le renforcement des bases du système démocratique, la bonne gouvernance et le développement économique, social et humain. Le malheur c'est que certains Etats maghrébins ne peuvent répondre à la colère et aux frustrations de certaines franges de leurs sociétés que par l'approche sécuritaire. Pour notre pays, ce n'est pas le cas. Heureusement qu'au Maroc des choix inhérents ont été faits dans l'ensemble des domaines pour garantir la dignité des citoyens. Est-ce que c'est le degré de démocratisation de chaque Etat qui va faire la différence dans cette situation ? Certes, certains groupes dans certains pays peuvent être tentés de calquer l'expérience tunisienne. Bien évidemment, dans l'ensemble, le risque zéro n'existe nulle part. Mais, je pense que les pays qui vivent une ouverture démocratique réelle, qui ont fait du choix démocratique un choix stratégique et qui ont opté pour l'instauration d'un Etat de droit, qui préserve et garantit la dignité des citoyens en leur permettant de s'exprimer pacifiquement sur l'ensemble des questions les concernant, une fois face à une situation de crise économique et sociale aiguë, pourront mieux négocier le passage de cette période de turbulences. Pour les autres qui ont travesti leurs sociétés et se sont isolés par leurs démarches, leurs comportements et leurs politiques et sans donner de signes réels de démocratie et d'ouverture sur l'ensemble de la société, le risque est plus grand. En plus, l'élément qui aggrave la situation dans la région c'est l'instrumentalisation qui peut être faite de l'intérieur comme de l'extérieur pour imposer à la région des choix politiques qui n'ont pas pu être introduits par d'autres moyens. Ce qui peut créer une situation de fragilité sécuritaire dont peuvent profiter des groupes extrémistes armés dans la région. Le Maroc a exprimé sa solidarité avec le peuple tunisien dans son ensemble. Quel commentaire faites-vous de la réaction du Maroc? De toute façon, le Maroc a bien dit que les choix faits par le peuple tunisien sont des choix souverains qui ne peuvent être que respectés. Le Maroc a, depuis toujours, opté pour le principe de la non-ingérence dans les affaires internes des autres Etats. Le Royaume a également toujours œuvré pour favoriser tout ce qui est en mesure de garantir la paix et la stabilité dans la région. Le Maroc espère bien que la Tunisie, pays maghrébin frère, puisse retrouver le plus tôt possible le chemin pour construire un avenir meilleur. Quelle est, selon vous, la meilleure solution pour la Tunisie pour sortir de l'impasse actuelle ? Je pense que les Tunisiens n'ont pas besoin qu'on leur souffle une solution. Ils savent très bien que la stabilité du pays passe inévitablement par l'ouverture sur l'ensemble des acteurs politiques et sociaux et par le dialogue entre les différentes composantes de la société loin de toute violence. La Tunisie doit retrouver rapidement sa vie normale avec une paix sociale, une stabilité politique et un développement économique. Des actes de désespoir répétés depuis un demi-siècle L'immolation par le feu est devenue une forme de contestation politique à partir des années 60. En voici quelques exemples : Vietnam : En juin 1963, un moine bouddhiste, Thich Quang Duc, 66 ans, périt après s'être immolé pour protester contre le président sud-vietnamien Ngô Din Diem. Son suicide est suivi par ceux de plusieurs autres Vietnamiens, hommes et femmes. Tchécoslovaquie : En 1969, l'étudiant Jan Palach, 20 ans, s'immole le 16 janvier sur la place Venceslas à Prague pour protester contre l'occupation soviétique. Il y aura une trentaine de cas similaires dans ce pays, dont Jan Zajic, 17 ans, étudiant, Josef Hlavaty, 25 ans et Blancha Nachazelova, 18 ans. Ex-URSS : En novembre 1983, un Russe s'immole sur la Place Rouge à Moscou pour protester contre le régime soviétique. Plusieurs autres personnes se sont immolées, notamment en mai 1974 en Lituanie et en Ukraine en 1978. Corée du Sud : Le 26 avril 1991, deux étudiantes sud-coréennes succombent après s'être immolées pour protester contre «la dictature militaire». Chine : Le 21 janvier 2001, cinq membres de la secte Falungong s'immolent par le feu place Tiananmen à Pékin pour protester contre la «répression religieuse». Europe : En juin 2003, une Iranienne s'immole près de Paris pour protester contre une opération policière française contre les Moudjahidine du peuple, mouvement armé opposé au régime de Téhéran. Plusieurs tentatives ont eu lieu à Paris, Berne, Londres et Rome. Turquie : Le 1er mai 2004, la journaliste turque Selma Kubat se donne la mort par immolation à Gebze (nord-ouest) pour protester contre ses conditions de détention. Birmanie : En mars 2008, un homme de 26 ans s'immole à la pagode Shwedagon de Rangoon en signe de protestation contre la junte au pouvoir.