jusqu'où peut se tisser le lien entre le lecteur et l'auteur d'une œuvre ? Si Nina Bouraoui posait la question à travers son onzième roman, « Appelez-moi par mon prénom », on y entendait notamment en filigrane : « L'écriture dévoile-t-elle un auteur ? Révèle-t-elle ce qui touche à l'intime ? Vénus Khoury-Ghata, romancière et poétesse libanaise, place quant à elle cette idée aux prémices de son dernier roman « La fille qui marchait dans le désert » (éd. Mercure de France). Faut-il connaître l'homme derrière l'auteur ? Anne, grande spécialiste de l'œuvre d'Adam Saint-Gilles, est habitée par cette idée. A l'occasion d'une conférence, elle se rend chez la veuve de l'écrivain pour lequel elle nourrit une irrésistible fascination. Mathilde, étrange personnage, revêche et taciturne, attise la curiosité de l'interprète des textes symboliques, en lui promettant de lui dévoiler un manuscrit inédit. Mathilde, la veuve, la ténébreuse, l'inconsolée, commence peu à peu à se délier pour confier l'inavouable à Anne. Son père archéologue, absent car constamment présent dans les sables mauritaniens, sa petite demi-sœur, Zohra, qu'il lui abandonne car sa mère a été tuée lors d'un bombardement ; cette enfant perdue dans la campagne française deviendra plus tard une beauté noire sculpturale qui se pendra au cou de l'écrivain. « Après m'avoir volé mon père, elle m'a volé mon mari », avoue Mathilde. Dans un univers hostile, polaire, maudit, Vénus Khoury-Ghata réunit trois femmes, trois voix et trois destins différents. Recluse entre une vieille demeure et un cimetière, Anne, la traductrice éclairée, va broyer du noir et devenir l'objet de la manipulation des deux sœurs, éternelles rivales aimantées au souvenir du même homme. Disparu mais continuant de hanter leurs esprits et de tourmenter leurs âmes… « Je n'ai fait que l'aimer », confie Zohra quand Mathilde a passé ses jours et ses nuits à taper ses écrits. A travers la parole de ses deux femmes, l'une occidentale et la seconde orientale, se profile le présence de l'écrivain, narcissique, fuyant, dévastateur. Très bel objet littéraire, « La fille qui marchait dans le désert » est un opus où l'auteur renoue avec des propos qui ont traversé ses précédents romans comme la contradiction ou l'étrangère dérangeante. Anne, personnage central au cœur de ce huis clos, cristallise ce drame de papier, et ne verra jamais les derniers écrits de Saint-Gilles. Quant au lecteur qui souhaiterait percer le paravent de l'auteur qui se tient derrière son œuvre, peut-être que la réponse tient à cette phrase d'André Breton qui disait : « J'aurai voulu vivre dans une maison de verre » où rien n'est un secret et qui est ouverte à tous les regards…