«C'est contre la Suisse mécréante et apostate qui détruit les maisons d'Allah que le djihad doit être proclamé par tous les moyens!» Le propos du colonel Muammar Kadhafi tranche avec le ton diplomatique de ces derniers jours! Dans ce discours tenu jeudi, à Benghazi, à l'occasion du Mouloud, il a également scandé que «le djihad contre la Suisse, contre le sionisme, contre l'agression étrangère n'est pas du terrorisme». Pourquoi un tel appel à la violence? Parce que le peuple suisse, à 57%, a interdit la construction de minarets le 29 novembre dernier. Même si cette transformation en chef religieux étonne, Muammar Kadhafi a asséné que «tout musulman, partout dans le monde, qui traite avec la Suisse est un infidèle contre l'islam, contre Mahomet, contre Dieu, contre le Coran.» Il a également appelé au boycott de la Suisse, de ses marchandises, et considéré ses ressortissants comme une «race de mécréants». Hier, l'ONU a condamné ces déclarations «inadmissibles». Le leader libyen jouit d'une crédibilité «en dessous de zéro» auprès des djihadistes. «Cet appel arrive à un moment inopportun», a estimé, pour sa part, la cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton. Inacceptable, a dit Paris. Rome s'est contenté d'un appel au calme. Les organisations musulmanes en Suisse ont exprimé leur agacement face à Kadhafi. L'imam de la mosquée de Genève a condamné «totalement» cet appel. «Utiliser l'islam dans ce conflit est absolument inacceptable et malsain», estime l'Imam Youssef Igram. «D'autres réagissent, pourquoi le ferions-nous?» savoure un haut fonctionnaire à Berne. Au Département fédéral des affaires étrangères, on «n'a pas de commentaire à apporter à ce sujet.» Membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national, Martine Brunschwig Graf (PLR) appelle au calme: «Nous ne devons pas tomber dans le piège de la provocation.» Selon la Genevoise, cet appel n'est qu'un épisode de plus dans une longue suite de bravades: «La «compassion» exprimée par Hannibal Kadhafi envers Max Göldi avant-hier, ou encore l'appel au démantèlement de la Suisse lancé par le colonel Kadhafi l'an dernier.» Carlo Sommaruga (PS/GE) calme également le jeu, et ne se dit pas inquiet: «Muammar Kadhafi n'est pas une figure dominante susceptible de mobiliser des foules et la jeunesse dans le monde musulman. Il faut voir cet appel comme une démonstration de force à domicile, une sorte de show pour occuper la scène.» La colère de Muammar Kadhafi contre la Suisse a des visées intérieures, mais elle sert aussi au leader libyen pour tenter de se replacer sur la scène africaine et arabe. Car Kadhafi y apparaît plus affaibli que jamais. Le 31 janvier dernier, il s'est vu refuser par l'Union africaine la présidence de l'organisation pour une deuxième année consécutive. Les Etats membres lui ont signifié que la règle du tournus annuel s'appliquait à tous. Le leader libyen est également inquiet pour la crédibilité du prochain sommet de la Ligue arabe qui doit se tenir en mars à Tripoli. Si les pays de l'Union du Maghreb arabe (UMA), qu'il préside, le soutiennent, les puissants Etats du Golfe, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, hésitent à y participer. Il n'empêche, quelle mouche a piqué Kadhafi? Les interprétations divergent. Une constante: le leader libyen jouit d'une crédibilité «en dessous de zéro» auprès des djihadistes. La plupart s'accordent pour dire que la Suisse ne risque pas grand-chose. Mais un expert en droit international, Marcello Kohen, prudent, estime que des groupes terroristes pourraient se sentir vraiment appelés. Pour le sociologue Jean Ziegler, Muammar Kadhafi a voulu «montrer la voie à suivre à son fils Saïf al Islam. On assiste à une guerre de succession en Libye. Elle se joue entre le fils pressenti Saif al Islam (pro-occidental) et Motassem, le réactionnaire. Qui, lui, est préféré par les militaires.» Pour Jean Ziegler, la Jamahiriya arabe libyenne populaire s'est construite sur cette opposition à l'Occident. «C'est sans danger pour la Suisse, mais pas pour Max Göldi», pense-t-il. Nombre d'observateurs pensent que si Max Göldi s'est livré, c'est qu'il avait de solides garanties. Tout comme la Suisse et l'Union européenne, qui, selon Jean Ziegler, ont accepté la mise en scène des «menottes et des photos pour qu'il y ait une équivalence avec Hannibal. Mais le scénario s'est grippé avec ses déclarations faites lors de la fête du Mouloud, le Noël musulman.» Luis Martinez pense au contraire que si l'épilogue prévu dans la stratégie est une grâce de Kadhafi, il est «presque normal qu'il s'en prenne à la Suisse. Avant de libérer Max Göldi, il doit montrer à son opinion publique qu'il est toujours ce combattant de la révolution qui tient tête à l'Occident.