L'histoire du septième art, liée à la culture et aux bouleversements des peuples et de leurs pays, nous a enseigné que les guerres et les crises douloureuses donnent naissance à de véritables coups de maître. Des réalisateurs ont su mettre leur talent au service d'une thématique, en s'appropriant de plus l'identité de leurs contemporains à travers une réalité souvent complexe, signant alors une œuvre incarnant une transmission dès lors inégalable aux yeux du reste du monde. «Snow», Premières neiges, de la jeune cinéaste bosniaque Aida Begic, est un premier film d'une rare force. Situé à quelques années de l'issue du conflit en ex-Yougoslavie et de son drame d'horreur, il retrace le récit de six femmes, aux côtés d'un vieillard et d'un petit garçon, vivant dans un village isolé, dévasté par la guerre. Les premières neiges vont les couper du monde… Raconté sous le prisme d'une histoire que l'on parvient à entendre de façon orale, le film s'ouvre avec gaieté sous l'angle ludique d'une séquence montrant quatre femmes, l'une d'entre elles mimant un personnage disparu de leur famille. Elle mime des moustaches, qui seraient posées au-dessus de ses lèvres, symbole de l'homme alors que le seul homme restant n'est autre que le bey, âgé et pieux. Tous les autres ont disparu, emmenés par les Tchetniks durant les combats. Nous sommes en 1997, dans un village musulman de l'Est de la Bosnie. Au fil du film, le personnage d'Alma, une jeune veuve, qui est l'interprète principale, s'impose naturellement par son charisme. (Alma est interprétée par l'actrice bosniaque Zana Marjanovic, qui a décroché le premier rôle du prochain film d'Angelina Jolie évoquant une femme bosniaque tombée amoureuse d'un Serbe en pleine guerre de Bosnie.) Et l'arrivée des premières neiges approchant, toutes les femmes à l'exception de la belle-mère d'Alma, mettent en bocaux prunes et légumes pour les vendre. Un objectif qu'Alma, en jeune veuve, s'est fixé depuis la mort de son mari, qui rêvait de nourrir la région de son vivant. Elles résisteront de plus à l'offre de promoteurs immobiliers leur demandant d'abandonner leurs maisons contre de l'argent. Mais ces femmes sont surtout habitées et hantées par le silence et les questionnements. Et en quête de vérité. Où sont leurs hommes et que sont-ils devenus ? C'est là que les thèmes propres à l'après-guerre éclatent, entre la reconstruction psychologique et économique, l'incapacité à porter le deuil, le tiraillement des doutes, l'atrocité des massacres et la vie après la guerre. Comme le souligne Ikbel Zalila, critique et professeur de cinéma, «sur le plan thématique, les dégâts de la guerre sur les corps et les esprits constituent un thème majeur dans les films de la région en dépit d'une tendance générale à en donner une représentation lucide et distanciée. Le poids du passé se fait d'autant plus sentir que l'effervescence nationaliste a fait place au désenchantement national dans un contexte de crise économique et de déshérence individuelle. Stylistiquement, la prédominance du réalisme est un trait significatif dans les films des jeunes cinéastes de l'ex-Yougoslavie. La réalité est appréhendée dans ce qu'elle comporte de paradoxal, avec gravité mais aussi humour et dérision». Pour ce qui s'attache aux stigmates de la guerre, infiltrés dans le corps de l'individu, on pense notamment à «Fausta, le lait de la douleur», autre film de Claudia Llosa, qui traite d'un mal nommé au Pérou «le lait de la douleur», dû aux femmes victimes de viols pendant la guerre civile. Ces femmes cinéastes s'inscrivent dans une lignée de cinéastes majeurs, explorant un cinéma qui renaît de ses cendres.